Une émission conseillée par Géraldine, avec Frédéric Worms et Olivier Abel, qui ont écrit respectivement, La vie, qu'est-ce que ça change? et La naissance, qu'est-ce que ça change?, chez Labor et Fides. Il se sont entretenus sur France inter le 1er novembre 2024, avec le thème, "Naître et vivre" (50 min, lien ici).
Si les femelles "mettent bas", les femmes "mettent au monde". Cette venue au monde des enfants ne les inscrit pas seulement en tant que vivants dans la nature, mais bien dans un monde, un tout organisé, et en particulier, politiquement.
Faisons un peu d'étymologie. Le mot "nature" renvoie à ce qui croît, ce qui pousse, de son propre mouvement. Le mot "monde" se rattache en grec à la fois à l'ordre et à la beauté (cosmos). Pour les êtres humains, et jusqu'à nouvel ordre, notre "monde" se situe sur la terre.
== Quel est l'ordre de notre monde? Qu'est-ce qui le structure et qui en décide? S'il y a un ordre, avons-nous des places?
La dernière idée renvoie évidemment à des sociétés d'Ancien Régime, tel que le philosophe Blaise PASCAL les a décrites dans ses Trois discours sur la condition des grands : "Les grandeurs d'établissement dépendent de la volonté des hommes, qui ont cru avec raison devoir honorer certains états et y attacher certains respects. Les dignités et la noblesse sont de ce genre. En un pays on honore les nobles; en l'autre les roturiers; en celui-ci les aînés, en cet autre les cadets? Pourquoi cela? Parce qu'il a plu aux hommes. La chose était indifférente avant l'établissement : après l'établissement elle devient juste, parce qu'il est injuste de la troubler." (cité par Spinhirny p. 61-62)
== Qu'en est-il des sociétés actuelles, que nous voulons démocratiques?
Arrêtons-nous aussi sur les verbes : si la mère "met au monde", cela signifie que l'enfant arrive, se présente dans le monde.
D'un autre côté, "venir au monde" semble exprimer le fait que l'enfant est attendu, que le monde est là avant lui; lorsqu'on demande à quelqu'un de venir, c'est à lui de nous rejoindre. Et sans les soins qu'on lui prodigue, sa venue serait sa mort (Frédéric Worms et Olivier Abel, aussi bien que Spinhirny insistent sur cette vulnérabilité indissociable d'un lien qu'elle crée); la naissance suscite "un accueil et un recueillement autour du nouveau né à préserver" écrit Spinhirny dans le sillage de Arendt (p. 79)
François Spinhirny insiste sur la dimension collective de la venue au monde (p. 13) : les enfants sont attendus par d'autres qu'eux; la représentation que nous nous faisons de la naissance intègre des mythes et rituels.
p. 59 Il cite Mikel Dufrenne, et sa "Note sur la naissance" (Revue d'esthétique, n°30, p. 81): "Toute naissance est une naissance pour les autres. Le fait biologique devient aussitôt un fait social : la naissance est déclarée, datée, archivée; le nouveau-né est identifié, nommé, situé. Ce sont les autres qui prennent la naissance pour un destin : selon le système qui régit la communauté, ils diront que l'enfant n'est pas seulement né, mais plus ou moins bien né, ou au contraire de basse extraction. Et selon ce qu'ils croient savoir des parents dont l'enfant hérite, ils lui attribueront une "nature" qu'ils s'emploieront à renaturer ou à dénaturer par l'élevage et l'éducation. Car le petit de l'homme ne naît pas comme un animal : prématuré, il n'est encore qu'à moitié né, et sa naissance va être une naissance continuée. Pour être à la hauteur de l'homme, il doit être pris en charge, à travers sa famille, par la communauté entière; il est à la merci de l'accueil qu'il reçoit, des soins qui lui sont prodigués, de l'atmosphère affective et de la rumeur langagière qui l'entourent. Ce vivant qui ne peut survivre seul n'en finit pas d'apprendre à vivre."
On peut aussi aller écouter Frédéric WORMS qui s'interroge sur la constitution du lien familial, dans 3 épisodes du "pourquoi du comment" de décembre 2024 (4minutes par épisode, lien vers le 1er ici, pour écouter ou lire)
== Peut-on dire que le monde attend les enfants à naître, à venir?
C'est un texte de Hannah ARENDT qui m'a inspiré le titre de cette séance.
Sa phrase centrale est peut-être la suivante, qui résonne particulièrement en cette période juste après Noël, que nous soyons chrétiens ou non : « C’est cette espérance et cette foi dans le monde qui ont trouvé sans doute leur expression la plus succincte, la plus glorieuse dans la petite phrase des Evangiles annonçant leur “bonne nouvelle” : “Un enfant nous est né.” »
Frédéric SPINHIRNY s'inspire beaucoup de l'approche de ARENDT dans son livre Naître et venir au monde. Pour une philosophie de la naissance paru en 2020 aux éditions Payot, probablement plus accessible que le livre de la philosophe allemande, qui jargonne volontiers et parle depuis des perspectives parfois datées, avec des références cachées. Il commente le passage plus particulier vers la p. 80 et vers la p. 120.
== Quel est le sens de cette référence biblique du nouveau testament mise en avant par la philosophe juive? Qu'est-ce que ce Dieu qui se présente comme un enfant fragile, dans une mangeoire, pour les chrétiens? Qu'est-ce que cet enfant dont on annonce l'arrivée avec un faire-part comme un "heureux événement" pour ceux qui ne sont pas chrétiens?
Voici l'extrait, issu de La condition de l'homme moderne, publié en 1958. Elle y analyse ce qu'elle appelle la "natalité", en établissant un lien entre naître et agir :
" Il est dans la nature du commencement que débute quelque chose de neuf auquel on ne peut pas s'attendre d'après ce qui s'est passé auparavant. Ce caractère d'inattendu, de surprise, est inhérent à tous les commencements, à toutes les origines. (...) Le nouveau apparaît (...) toujours comme un miracle. Le fait que l'homme est capable d'action signifie que de sa part on peut s'attendre à l'inattendu, qu'il est en mesure d'accomplir ce qui est infiniment improbable. Et cela à son tour n'est possible que parce que chaque homme est unique, de sorte qu'à chaque naissance quelque chose d'uniquement neuf arrive au monde. Par rapport à ce quelqu'un qui est unique, on peut vraiment dire qu'il n'y avait personne auparavant. Si l'action en tant que commencement correspond au fait de la naissance, si elle est l'actualisation de la condition humaine de natalité, la parole correspond au fait de l'individualité, elle est l'actualisation de la condition humaine de pluralité, qui est de vivre en être distinct et unique parmi les autres." (p. 234-235)
"Le miracle qui sauve le monde, le domaine des affaires humaines, de la ruine normale, "naturelle", c'est finalement le fait de la natalité, dans laquelle s'enracine ontologiquement la faculté d'agir. En d'autres termes: c'est la naissance d'hommes nouveaux, le fait qu'ils commencent à nouveau, l'action dont ils sont capables par droit de naissance. Seule l'expérience totale de cette capacité peut octroyer aux affaires humaines la foi et l'espérance, ces deux caractéristiques essentielles de l'existence que l'Antiquité grecque a complètement méconnues, écartant la foi jurée où elle voyait une vertu fort rare et négligeable, et rangeant l'espérance au nombre des illusions pernicieuses de la boîte de Pandore. C'est cette espérance et cette foi dans le monde qui ont trouvé sans doute leur expression la plus succincte, la plus glorieuse dans la petite phrase des Evangiles annonçant leur "bonne nouvelle": "Un enfant nous est né." (p. 378)
Vous pourrez trouver petites analyses dans le HS Philosophie Magazine spécial Hannah Arendt, de Janvier 2023, ici), et dans le n°180 de mai 2024 (ici); un commentaire aussi dans l'émission des Chemins de la philosophie "Philosopher c'est apprendre à naître", du 26 janvier 2022, animée par Adèle VAN REETH avec son invité Vincent DELECROIX (50 min, ici).
Le texte est cité par Frédéric SPINHIRNY p. 80-81.
Pour rappel, la philosophie s'est traditionnellement, dans son inquiétude face à notre finitude (nous sommes mortels), tournée vers la méditation sur la mort. C'est ici une autre approche que propose la philosophe allemande.... s'opposant résolument à son maître Heidegger!
== Qu'implique cette finitude? Quelle signification donne-t-elle à la naissance?
Une petite citation de Paul RICOEUR, que nous méditerons plus longuement la prochaine fois peut éclairer ce point : "L'existence est la joie du oui dans la tristesse du fini".
Nous sommes "finis" aussi dans le sens où nous n'avons pas tous les pouvoirs, nous sommes nés quelque part, à un certain moment, ave un certain corps dans certaines conditions déterminées : nous sommes venus au monde dans ce monde-là, non pas abstraitement. La perspective d'Arendt consiste à étudier ce qu'elle considère comme "la condition humaine", telle qu'elle se présente au sortir de la 2e Guerre mondiale, aussi bien avec les génocides qu'avec l'essor de la société de consommation et du travail à la chaîne, ainsi que la conquête de l'espace. Le monde historique, géographique, économique... dans lequel nous naissons conditionne notre existence, si bien que pour elle cela n'a pas de sens de parler d'une "nature humaine" universelle.
Comme le dit Olivier Abel, nous sommes nés dans un coin du monde, et nous percevons à partir de ce coin, de cette perspective - le tourisme nous donnant l'illusion de pouvoir interchanger les places (La naissance, qu'est-ce que ça change? p. 24 et 72)
== Que dit de nous cette finitude? Peut-on dire qu'elle nous définit, nous détermine? ( nous creuserons plus la prochaine fois avec "naitre ou être né")
Pour comprendre ce texte, et en particulier le sens précis qu'elle donne aux mots "action" et "agir", il faut également prendre en compte la distinction établie par Arendt entre les trois façons de "faire" (plutôt que de penser, contempler), qui composent notre "vita activa": "travail", "oeuvre", et "action".
Voici la présentation tirée du Livre scolaire : "La vita activa se compose de 3 activités : le travail ("labor"), l’œuvre ("work", qui renvoie à la poiesis grecque, la fabrication) et l’action ("action", qui correspond à la praxis grecque), chacune réalisant une exigence
de la condition humaine : survivre, construire le monde commun et réduire la pluralité des hommes
à l’unité politique par la parole et l’investissement dans l’espace public.
À cela s’oppose la vita contemplativa, tout entière consacrée à la contemplation de la vérité ou de
la beauté, que l’on peut considérer comme étant ce qu'elle appelle "la vie de l’esprit".
Le travail est l’activité par laquelle l’homme prend en charge sa condition matérielle, ses
besoins organiques, répétitifs et exigeants. Il témoigne de notre aliénation à la nature mais
induit une recherche d’efficacité. Nous rêvons de l’abolir.
L’œuvre est la création des éléments du monde, objets qui peuplent et structurent le monde
dans lequel nous naissons.
L’action est faite par la parole dans l’espace public et aboutit à la création des institutions
politiques. Elle prend en charge la pluralité des hommes et leur besoin de vivre ensemble.
La vie politique permet d’accéder à l’immortalité, alors que la vie philosophique seule permet d’accéder à l’éternité. Dans la hiérarchie des finalités humaines, l’immortalité perdit peu à peu la première place au profit de l’éternité. L’immortalité désigne la durée perpétuelle sur la Terre, alors que
l’éternité suppose l’arrachement aux affaires humaines, à l’image de la parabole de la Caverne de
Platon où il s’agit de s’élever en rompant le lien avec ses compagnons."
== Pourquoi ces actions inattendues sont-elles si importantes? quel est ce "droit de naissance" à agir?
Le travail ne laisse rien derrière lui car il produit du périssable et consommable. Seules l'oeuvre et l'action composent un monde humain.
Les oeuvres constituent un monde d'artifices, utilisés, transmis, une réalité matérielle relativement stable, un patrimoine; ce sont les "monuments et les documents du passé" selon P. Ricoeur. Il enserrent l'homme dans un monde humain durable. Arendt écrit p. 92 "Le monde n'est pas identique à la Terre ou à la nature, en tant que cadre du mouvement des hommes et condition générale de la vie. Il est lié aux productions humaines, aux objets fabriqués de main d'homme, ainsi qu'aux relations qui existent entre les habitants de ce monde fait par l'homme." Mais si les oeuvres sont la maison qui accueille tout homme, et même celles qui sont uniques comme les oeuvres d'art, elles demeurent créées. Tandis que l'homme qui naît et vie a été créé et va lui-même faire sa vie.
L'action et la parole "révèlent l'homme comme celui qui initie et régit (le terme grec "arkhein" a les deux sens), celui qui commence quelque chose dans le monde", résume Ricoeur, pour éclairer la formule "action is the disclosure of who"... dans le domaine public, au milieu des autres hommes. Le qui qui est révélé par l'action est un citoyen! Or l'action politique est fragile car elle disparaît - elle ne dure que si elle est racontée, et maintenue dans les mémoires.
Pour comprendre ce dernier point, on peut aussi avoir en tête une autre distinction fondamentale posée par Arendt, celle qui oppose le public (le politique, qui vise la liberté et passe par l'égalité : le lieu pour "l'action") et le privé (les individus en tant qu'ils sont pris dans des rapports sociaux et économiques, même s'ils sont ensemble, le lieu pour le "travail", et parfois les "oeuvres") - cette distinction structure la compréhension française de la laïcité (le port du voile est interdit dans les espaces où l'Etat est présent symboliquement, mais autorisé dans la rue. Je vous renvoie encore une fois à la synthèse du Livre scolaire :
" Dans le monde grec, l’homme
est défini comme un animal politique, ce que la langue latine traduit par : animal social. Cependant
l’essentiel est perdu dans cette substitution. Dans la conception grecque, la politique est l’espace
commun au sein duquel on pratique dans l’égalité praxis (l’action) et lexis (la parole). La langue latine
a introduit une confusion entre la vie privée, contrainte et issue de la nécessité, et la vie publique
qui vise la liberté. La vie politique a pour moyen l’action et la parole, elle exclut la violence. La vie
sociale désigne la partie individuelle, privée, cachée, de l’activité nécessaire à la restauration des
fonctions vitales.
L’avènement de la société exclut la possibilité de l’action, au sens de la praxis grecque, elle exige
de chacun de ses membres un comportement normé, en imposant des règles qui les uniformisent.
Historiquement, la société, en pénétrant dans le domaine public, s’est travestie en une organisation
de propriétaires qui réclamèrent à l’organisation politique la protection de leur fortune, au lieu
d’investir le domaine public."
Action semble donc synonyme de liberté, et une liberté radicale; on peut de ce point de vue rapproche Hannah Arendt des positions existentialistes de Jean-Paul SARTRE, qui affirme que l'homme commence par "exister", et qu'il a la responsabilité de se "définir" par ses actes, de dessiner son "essence" (L'existentialisme est un humanisme). Les objets manufacturés, au contraire, comme les coupe-papier, sont d'abord définis par leur créateur ou fabricateur, puis sont produits, réalisés : ils viennent à l'existence après avoir été définis, une fois que l'on connaît leur concept et le procédé de fabrication. "L'homme existe d'abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu'il se définit après. L'homme, tel que le conçoit l'existentialiste, s'il n'est pas définissable, c'est qu'il n'est d'abord rien. Il ne sera qu'ensuite, et il sera tel qu'il se sera fait. Ainsi, il n'y a pas de nature humaine, puisqu'il n'y a pas de Dieu pour la concevoir. L'homme est seulement, non seulement tel qu'il se conçoit, mais tel qu'il se veut, et comme il se conçoit après l'existence, comme il se veut après cet élan vers l'existence, l'homme n'est rien d'autre que ce qu'il se fait." Plus loin, il complète : «Nous sommes seuls, sans excuses. C’est ce que je veux dire quand je dis l’homme est condamné à être libre. Condamné, parce qu’il ne s’est pas créé lui-même, et encore néanmoins la liberté, et à partir du moment où il est jeté dans ce monde il est responsable de tout ce qu’il fait » Présentation express sur le site "La pause philo" ici, un peu plus détaillée chez La philo.com ici (ou p. 82 dans le livre de SPINHIRNY : nous somme "in-finis"). Les projets de nos parents, et toutes les conditions matérielles ne sauraient nous priver ni nous dédouaner de notre liberté fondamentale (à explorer la prochaine fois avec "naître ou être né" peut-être).
Comme le rappelle François Spinhirny chaque naissance est accueillie, mais comporte aussi en elle une "puissance perturbatrice" selon l'expression de Claire Marin. Il cite le poète René Char : "Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni patience ni égards " (Incipit et p. 12)
Arendt aussi insiste sur le fait que le propre de l'homme est d'avoir la possibilité d'avoir "l'initiative", "une initiative dont aucun être humain ne peut s'abstenir s'il veut rester humain" (p. 232). La parole et l'action sont pour elle la façon, pour chacun d'entre nous, de répondre à la question "qui es-tu?" (p. 235).
Il appartient à chacun de répondre en première personne, sans laisser nos parents le faire à notre place, bien qu'ils nous nomment et nous attendent. Peut-être même que c'est en cela que consiste l'émerveillement des parents devant le nouveau-né et l'enfant encore irresponsable : même en ayant vu les échographie et en ayant choisi la façon de l'éduquer, ils doivent se rendre à l'évidence : leur enfant les surprendra, il est toujours autre que le projet qu'on a fait pour lui (Voir Olivier Abel, La naissance qu'est-ce que ça change? p. 17-18)
Une vie humaine ne suit pas seulement son cours comme un processus naturel, mais s'écrit, et se raconte, elle est toujours une biographie (voir SPINHIRNY p. 88 et ARENDT p. 143)
La différence entre les deux penseurs réside probablement dans le fait que Sartre se concentre sur chaque individu, tandis que Arendt met l'accent sur la dimension politique de cette liberté : chaque individu, unique, doit agir parmi les autres pour dessiner avec eux un monde humain. C'est ce que nous faisons dans la délibération et l'institution des lois, des valeurs, qui mettent en ordre les relations, qui inscrivent nos actions dans la pluralité. Arendt écrit "Le monde n'est pas humain pour avoir été fait par les hommes et il ne devient pas humain parce que la voix de l'homme y résonne mais seulement lorsqu'il est devenu objet de dialogue." (Vies politiques. De l'humanité dans de sombres temps. Citée par SPINHIRNY p. 121). Notre responsabilité est donc de faire vivre cette pluralité, pour que le monde demeure humain.
Il est possible également de faire résonner la phrase des Evangiles soulignée par Arendt en contraste avec la façon dont elle résume la nature des régimes totalitaires : des régimes politiques dans lesquels les hommes sont superflus, de trop - ce à quoi nous invite Paul Ricoeur dans la préface française de La condition de l'homme moderne publiée chez Pocket (p. 12); selon lui, elle cherche dans ce livre comment résister et se reconstruire après les totalitarismes, qui sont une expérience que tout est possible, que l'inimaginable est possible.
"L'inattendu" est l'autre face de l'impensable totalitaire!
Pour prolonger cette pensée on peut aussi se demander la différence entre faire venir au monde des enfants et produire de nouveaux robots, obéissants, intelligents, sophistiqués! Voir SPINHIRNY p. 133 et suiv. "Pourquoi faire un enfant quand on peut avoir un robot?". Arendt repond qu'il "ne peut y avoir de monde au sens propre que là où la pluralité ne se réduit pas à la multiplication des exemplaires d'une espèce"
Paul RICOEUR commente ainsi le passage, dans sa préface, après s'en être étonné : "Cette fin inattendue nous laissera moins intrigués si nous la replaçons sur la trajectoire de l'expérience temporelle sous-jacente à l'anthropologie philosophique de Hannah Arendt. Cette trajectoire part de la répétition du monde naturel qui ignore la mort, traverse la futilité du labeur, la durabilité des oeuvres culturelles, et finalement atteint une fragilité plus formidable que toute futilité. Cette reconnaissance de la fragilité d'une histoire que nous ne "faisons" pas et qui mine par en-dessous toutes les oeuvres que nous "faisons", résonne comme un ultime "memento mori". Notre mortalité est pour ainsi dire, réaffirmée à la fin de notre voyage. Que reste-t-il alors au penseur - non à l'animal politique - face à la mort? L'exaltation de la naissance d'un nouveau commencement. Seule la natalité peut échapper aux illusions de l'immortalité de la part de mortels qui pensent l'éternité." (p. 32)
Sur ce rapport au temps, on peut retenir la belle citation de ARENDT : "Les hommes, bien qu'ils doivent mourir, ne sont pas nés pour mourir mais pour innover" (p. 313). C'est en cela que l'action nous arrache à l'ordre continu de la vie biologique.
Notons aussi - pour s'en souvenir dans notre prochaine question "naître et renaître", que ce passage suit un long développement sur le pardon, tel qu'il est justement prôné par Jésus.
Enfin, le Prologue d'Hannah ARENDT, au moment où les hommes se lancent à la conquête de l'espace, rappelle notre attachement à la terre. A l'heure actuelle, avec les projets d'Elon MUSK, est-ce périmé?
== Notre "monde" doit-il se limiter à "la terre", ou être compris comme "l'univers"?
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