Les ateliers philo de Clotilde #11 : Tous les êtres humains sont-ils respectables? (lundi 16 septembre 2019)


Tous les hommes ont-ils droit au respect en vertu d'une dignité inscrite dans la nature humaine, ou bien ne doit-on le respect qu'à ceux qui se comportent conformément à l'idée que nous nous faisons de l'homme?

Les valeurs d'origine chrétienne et démocratique dans lesquelles nous sommes insérés nous font un devoir de respecter chaque personne humaine, c'est-à-dire de reconnaître en elle quelque chose qui la différencie des choses inertes et des autres vivants, et lui confère une liberté unique et sacrée; au nom d'une dignité liée à nos facultés, il nous serait interdit de faire violence, physiquement ou moralement à l'autre être humain. Où se loge exactement cette dignité? Sur quelles qualités réelles ou supposées repose-t-elle? Sommes-nous capables de la maintenir entière envers ceux qui ne parviennent pas à manifester ces capacités (handicapés), ceux qui n'y parviennent pas encore (enfants), ceux qui semblent y renoncer (criminels)? De façon très concrète : devons-nous respecter celui qui nous insulte?

Pour la tradition religieuse et la tradition politique, je vous propose de nous concentrer sur notre environnement culturel, non parce qu'il serait plus vrai, mais parce qu'il nous est plus familier - et aussi pour avoir le temps de faire de la philosophie aussi!
Pour cerner la notion de respect, je pense qu'on peut partir de considérations très simples : comment témoignons-nous notre respect aux autres? que vivons-nous comme du manque de respect?

Pour une première approche, nous pouvons rapprocher respect de : estime, considération, déférence; et chercher à le distinguer de : admiration, crainte, amour.



Textes chrétiens



Saint Paul, Epitre aux Galates 3:28 (trad. L. Segond)
(Qu'y a-t-il de révolutionnaire dans la naissance du christianisme, qui n'existait pas dans la religion juive?)


"Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni libre, il n'y a plus ni homme ni femme; car vous êtes tous un en Jésus-Christ."

On fait souvent de ce fragment l'origine de la déclaration des droits de l'homme...




Déclarations politiques françaises

Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (1789) : 
(Dans le contexte de l'abolition de la monarchie et de l'avènement de la République : 
en quoi y a-t-il une volonté de rupture nette avec la loi du plus fort?)


Art. 1 "Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits..."
Notez que le mot "en droits" est au pluriel, ce qui signifie que les hommes ont tous les mêmes droits, et non pas qu'ils ont une égalité "en droit" c'est-à-dire d'un point de vue légal par opposition à ce qui se passe dans la réalité.
Le Préambule a posé que les droits présentés dans la Déclaration sont "naturels, inaliénables et sacrés".
L'article 2 précise que "la conservation" de ces droits "naturels et imprescriptibles de l'homme" est le "but de toute association politique"; et qu'ils consistent en : "la liberté, la sûreté, la propriété et la résistance à l'oppression".

L'affirmation que ces droits sont "naturels" et doivent néanmoins être déclarés et garantis par la loi ne va pas sans difficultés...
Par exemple, Hannah ARENDT, qui a dû fuir l'Europe, a insisté sur le fait que cette dignité apparemment attachée à la nature humaine était en réalité tributaire du régime et du statut politiques (voir Emission "Chemins de la philosophie du 16 mai 2019" : "Qui les droits de l'homme protègent-ils vraiment?" ici)



Préambule de la Constitution du 27 oct 1946
(après le régime de Vichy et les crimes contre l'humanité de la Seconde Guerre mondiale, pourquoi la notion de dignité est-elle devenue centrale?"

"Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion, ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés...

Les crimes contre l'humanité renvoient bien sûr au génocide nazi. Je vous signale deux très beaux documentaires sur la période des Khmers Rouges au Cambodge, actuellement visibles sur Arte, jusqu'en octobre 2019 : S21, La machine de mort Khmère Rouge, de Rithy PANH (filmé dans le camp S21 avec des hommes qui y sont passés : un peintre obsédé par la nécessité de peindre et de comprendre ce qu'il a vu, se confronte avec des anciens gardiens qui racontent et répètent leurs gestes de l'époque; c'est poignant et dérangeant, à voir ici) et L'image manquante (l'auteur confronte cette fois des films de propagande qui ne montrent qu'une partie de la réalité, et ce qu'il a vraiment vu et qu'il met en scène à l'aide de figurines d'argile... le résultat est poétique et bouleversant, à voir ici)






Préambule de la Constitution de la Ve République, 4 oct 1958


"Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis dans la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le Préambule de la Constitution de 1946.
Art 1. - La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances..."

(Vous trouverez les textes complets sur le site Légifrance.)

Dans le vocabulaire chrétien, on parle volontiers de "personne" et dans le registre démocratique plutôt "d'individu", "d'homme", de "citoyen" : la nuance a-t-elle un sens pour vous?





Textes philosophiques de KANT

(Il nous invite à distinguer respect, amour, admiration, crainte, et à situer dans la capacité de chacun à s'élever à la loi morale plutôt qu'à suivre ses inclinations et ses pulsions le motif du respect qui lui est dû. Pourquoi lui faut-il associer le respect au rejet de l'animalité? Pourquoi est-ce la capacité à agir moralement qui est le critère fondamental? )




"Deux choses remplissent le coeur d'une admiration et d'une vénération toujours nouvelles et toujours croissantes, à mesure que la réflexion s'y attache et s'y applique : le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi. (...) 
Le premier spectacle, d'une multitude innombrable de mondes, anéantit pour ainsi dire mon importance, en tant que je suis une créature animale qui doit rendre la matière dont elle est formée à la planète (à un simple point dans l'univers), après avoir été pendant un court espace de temps (on ne sait comment) douée de la force vitale. 
Le second, au contraire, élève infiniment ma valeur, comme celle d'une intelligence, par ma personnalité dans laquelle la loi morale me manifeste une vie indépendante de l'animalité et même de tout le monde sensible, autant du moins qu'on peut l'inférer d'après la détermination conforme à une fin que cette loi morale donne à mon existence, détermination qui n'est pas limitée aux conditions et aux limites de cette vie, mais qui s'étend à l'infini" 
(Critique de la raison pratique, Conclusion, trad. Picavet, PUF, p. 173)


"De tout ce qu'il est possible de concevoir dans le monde, et même en général hors du monde, il n'y a qu'une seule chose qu'on puisse tenir pour bonne sans restriction, c'est une bonne volonté. L'intelligence, la finesse, le jugement, et tous les talents de l'esprit, ou bien le courage, la résolution, la persévérance, comme qualités du tempérament, sont sans doute choses bonnes et désirables à beaucoup d'égards; mais ces dons de la nature peuvent aussi être extrêmement mauvais et pernicieux lorsque la volonté qui en doit faire usage, et qui constitue ainsi essentiellement ce qu'on appelle le caractère, n'est pas bonne. Il en est de même des dons de la fortune. Le pouvoir, la richesse, l'honneur, la santé même, tout le bien-être, et ce parfait contentement de son état qu'on appelle le bonheur, toutes ces choses nous donnent une confiance en nous, qui dégénère même souvent en présomption, lorsqu'il n'y a pas une bonne volonté pour empêcher qu'elles n'exercent une fâcheuse influence sur l'esprit et pour ramener toutes nos actions à un principe universellement légitime (...)
Il y a même des qualités qui sont favorables à cette bonne volonté (...) mais qui n'ont (...) aucune valeur intrinsèque absolue (...) Le sang-froid d'un scélérat ne le rend pas seulement beaucoup plus dangereux, mais il nous le fait paraître immédiatement plus méprisable encore.
La bonne volonté ne tire pas sa bonté de ses effets ou de ses résultats, ni de son aptitude à atteindre tel ou tel but proposé, mais seulement du vouloir, c'est-à-dire d'elle-même. (...)"

La volonté bonne agit "par devoir" et non pas seulement "conformément au devoir" : par exemple un commerçant peut faire payer le juste prix par intérêt (pour avoir des clients) et non pas principe moral.

Et elle agit "par devoir" plutôt que "par inclination" : celui qui a du plaisir à faire le bien naturellement n'a pas de mérite, et que deviendra sa moralité s'il déprime?

"Je dois toujours agir de telle sorte que je puisse vouloir que ma maxime devienne une loi universelle" : cela signifie que mon intention est bonne de façon absolue puisque je peux vouloir que tout le monde fasse la même chose. Par exemple avec ce critère, on voit qu'il n'est pas moral de mentir, de faire de fausses promesses.

Si le devoir moral se présente à moi sous la forme d'une contrainte, qui s'oppose à une partie de moi-même, c'est parce que ma volonté est seulement bonne, et pas sainte (si j'étais un saint, je n'aurais pas besoin d'un commandement). En réalité, on peut dire qu'il s'agit plutôt d'une obligation, puisqu'en obéissant à la loi morale, j'obéis à ce que ma volonté sait être le bien (qui n'est pas toujours agréable!)
(Fondements de la métaphysique des moeurs, Ière section)

"Les êtres dont l'existence dépend, à vrai dire non pas de notre volonté, mais de la nature, n'ont cependant, quand ce sont des êtres dépourvus de raison, qu'une valeur relative, celle de moyens, et voilà pourquoi on les nomme des choses; au contraire, les êtres raisonnables sont appelés des personnes, parce que leur nature les désigne déjà comme des fins en soi, c'est-dire comme quelque chose qui ne peut pas être employé seulement comme un moyen, quelque chose qui par suite limite d'autant toute faculté d'agir comme bon nous semble (et qui est un objet de respect). Ce ne sont donc pas là des fins simplement subjectives, dont l'existence, comme effet de notre action, a une valeur pour nous ; ce sont des fins objectives, c'est-à-dire des choses dont l'existence est une fin en soi-même, et même une fin telle qu'elle ne peut être remplacée par aucune autre, au service de laquelle les fins objectives devraient se mettre, simplement comme moyens. Sans cela, en effet, on ne pourrait rien trouver qui eût une valeur absolue.

(...) Agis donc de telle sorte que tu traites l'humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen." 
Par exemple si je me suicide, je me considère comme un moyen d'obtenir une existence heureuse, si je fais une fausse promesse j'utilise l'autre comme un moyen...

Qu'est-ce qui justifie de traiter l'homme comme une fin en soi? C'est justement qu'il est le seul être terrestre capable de viser des fins en soi.
"Dans le règne des fins, tout a un prix ou une dignité. Ce qui a un prix peut aussi bien être remplacé par quelque chose d'autre, à titre d'équivalent; au contraire, ce qui est supérieur à tout prix, ce qui par suite n'admet pas d'équivalent, c'est ce qui a une dignité.
Ce qui se rapporte aux inclinations et aux besoins généraux de l'homme, cela a un prix marchand; ce qui, même sans supposer de besoin, correspond à un certain goût, c'est-à-dire à la satisfaction que nous procure un simple jeu sans but de nos facultés mentales, cela a un prix de sentiment; mais ce qui constitue la condition qui seule peut faire que quelque chose est une fin en soi, cela n'a pas seulement une valeur relative, c'est-à-dire un prix, mais une valeur intrinsèque, c'est-à-dire une dignité
Or la moralité est la condition qui seule peut faire qu'un être raisonnable est une fin en soi; car il n'est possible que par elle d'être un membre législateur dans le domaine des fins. La moralité, ainsi que l'humanité, en tant qu'elle est capable de moralité, c'est donc là ce qui seul a de la dignité. L'habileté et l'application dans le travail ont un prix marchand; l'esprit, la vivacité d'imagination, l'humour, ont un prix de sentiment; par contre, la fidélité à ses promesses, la bienveillance par principe (non la bienveillance d'instinct), ont une valeur intrinsèque. Ni la nature ni l'art ne contiennent rien qui puisse être mis à la place de ces qualités si elles viennent à manquer; car leur valeur consiste, non dans les effets qui en résultent, non dans l'avantage et le profit qu'elles constituent, mais dans les intentions, c'est-à-dire dans les maximes de la volonté qui sont prêtes à se traduire ainsi en actions, alors même que l'issue ne leur serait pas favorable."
(Fondements de la métaphysique des Moeurs, IIe section).


"Le respect s'applique toujours uniquement aux personnes, jamais aux choses. Les choses peuvent exciter en nous de l'inclination, et même de l'amour, si ce sont des animaux (par exemple des chevaux ou des chiens, etc.), ou aussi de la crainte, comme la mer, un volcan, une bête féroce, mais jamais du respect. Une chose qui se rapproche beaucoup de ce respect, c'est l'admiration, et l'admiration comme affection, c'est-à-dire de l'étonnement. 
Un homme peut aussi être objet d'amour, de crainte, ou d'admiration, et même d'étonnement, sans pour cela être un objet de respect. Son humeur enjouée, son courage et sa force, la puissance qu'il doit au rang qu'il occupe parmi les autres peuvent m'inspirer ces sentiments, sans que j'éprouve pour autant de respect intérieur pour sa personne. Je m'incline devant un grand, disait Fontenelle, mais mon esprit ne s'incline pas. Et moi j'ajouterai : devant un homme de condition inférieure, roturière et commune, en qui je vois la droiture de caractère portée à un degré que je ne trouve pas en moi-même, mon esprit s'incline, que je le veuille ou non, si haute que je maintienne la tête pour lui faire remarquer la supériorité de mon rang."
(Critique de la raison pratique, trad. Picavet, PUF, p. 81)

De façon très concrète, dans nos relations affectives, ne nous arrive-t-il pas de pouvoir penser de l'amour sans respect ou du respect sans amour?
Pour la distinction entre le respect dû aux qualités morales et le respect dû aux grandeurs sociales, nous pourrons y revenir plus tard dans l'année.


Pour les anciens du groupe, vous pouvez aussi revenir aux textes d'ALAIN sur la politesse,  ainsi qu'à la conférence puisqu'on peut faire le lien avec le respect! (atelier #3)


Il y a également de très beaux passages dans le premier chapitre des Deux sources de la morale et de la religion, de BERGSON, consacré à l'obligation morale. Il y critique ouvertement la morale kantienne d'ailleurs, en faisant valoir que la raison à elle seule ne suffit pas à créer le sentiment d'obligation.

On trouve aussi un passage intéressant sur le "respect de soi" (p. 65 et suiv. dans l'ancienne édition PUF), qui repose sur la distinction que fait Bergson entre deux type de morale, la première, la morale close, vise à préserver l'ordre d'un groupe donné, et nous fait agir par pression, tandis que la deuxième, la morale ouverte, nous invite à aimer tous les hommes mais aussi les animaux et les plantes en nous y appelant, en nous donnant un élan : 
"Un honnête homme dira par exemple qu'il agit par respect de soi, par sentiment de la dignité humaine. Il ne s'exprimerait pas ainsi, évidemment, s'il ne commençait par se scinder en deux personnalités, celle qu'il serait s'il se laissait aller et celle où sa volonté le hausse : le moi qui respecte n'est pas le même que le moi respecté. Quel est donc ce dernier moi? en quoi consiste sa dignité? d'où vient le respect qu'il inspire? (...) Ce moi supérieur, "il n'est pas douteux que ce soit d'abord le "moi social", intérieur à chacun (...). Si l'on admet, ne fût-ce que théoriquement, une "mentalité primitive", on y verra le respect de soi coïncider avec le sentiment d'une telle solidarité entre l'individu et le groupe que le groupe reste présent à l'individu isolé, le surveille, l'encourage ou le menace, exige enfin d'être consulté et obéi : derrière la société elle-même il y a des puissances surnaturelles, dont le groupe dépend, et qui rendent la société responsable des actes de l'individu; la pression du moi social s'exerce avec toutes ces énergies accumulées. L'individu n'obéit d'ailleurs pas seulement par habitude de la discipline ou par crainte du châtiment : le groupe auquel il appartient se met nécessairement au-dessus des autres, ne fût-ce que pour exalter son courage dans la bataille, et la conscience de cette supériorité de force lui assure à lui-même une supériorité de force plus grande, avec toutes les jouissances de l'orgueil. On s'en convaincra en considérant une mentalité déjà plus "évoluée". Qu'on songe à ce qu'il entrait de fierté, en même temps que d'énergie morale, dans le "Civis sum romanus" : le respect de soi, chez un citoyen romain devait se confondre avec ce que nous appellerions aujourd'hui son nationalisme. Mais point n'est besoin d'un recours à l'histoire ou à la préhistoire pour voir le respect de soi coïncider avec l'amour-propre du groupe. Il suffit d'observer ce qui se passe sous nos yeux dans les petites sociétés qui se constituent au sein de la grande, quand des hommes se trouvent rapprochés les uns des autres par  quelque marque distinctive qui souligne une supériorité réelle ou apparente, et qui les met à part. Au respect de soi que professe tout homme en tant qu'homme se joint alors un respect additionnel, celui du moi qui est simplement homme pour un moi éminent entre les hommes; tous les membres du groupe "se tiennent" et s'imposent ainsi une "tenue"; on voit naître un "sentiment de l'honneur" qui ne fait qu'un avec l'esprit de corps? Telles sont les premières composantes du respect de soi. Envisagé de ce côté, que nous ne pouvons isoler aujourd'hui que par un effort d'abstraction, il oblige par tout ce qu'il apporte avec lui de pression sociale. Maintenant, l'impulsion deviendrait manifestement attraction si le respect "de soi" était celui d'une personnalité admirée et vénérée dont on porterait en soi l'image et avec laquelle on chercherait à se confondre, comme la copie avec le modèle. Il n'en est pas ainsi en fait, car l'expression a beau n'évoquer que des idées de repliement sur soi-même, le respect de soi n'en reste pas moins, au terme de son évolution comme à l'origine, un sentiment social. Mais les grandes figures morales qui ont marqué dans l'histoire se donnent la main par-dessus les siècles, par-dessus nos cités humaines : ensemble elles composent une société divine où elles nous invitent à entrer. Nous pouvons ne pas entendre distinctement leur voix; l'appel n'en est pas moins lancé; quelque chose y répond au fond de notre âme; de la société réelle dont nous sommes nous nous transportons par la pensée à la société idéale; vers elle monte notre hommage quand nous nous inclinons devant la dignité humaine en nous, quand nous déclarons agir par respect de nous-mêmes..."
Pour le respect de soi fondé sur les valeurs d'un groupe, je pense à un film que je viens de regarder : Gabrielle, tiré d'une nouvelle de Joseph Conrad The Return : le personnage principal est toujours en train d'agir et de penser en fonction de ce qu'il estime correct selon ses critères bourgeois, et jamais de ce qu'il ressent ou de ce qu'il désire personnellement.

Et pour prendre le contrepied de la morale de KANT, un petit texte de NIETZSCHE proposé par Félix, extrait de Par-delà Bien et Mal (§259) : 
"S'abstenir réciproquement d'offense, de violence et de rapine, reconnaître la volonté d'autrui comme égale à la sienne, cela peut donner, grosso modo, une bonne règle de conduite entre les individus, pourvu que les conditions nécessaires soient réalisées (je veux dire l'analogie réelle des forces et des critères chez les individus et leur cohésion à l'intérieur d'un même corps social). Mais qu'on essaye d'étendre l'application de ce principe, voir d'en faire le principe fondamental de la société, et il se révèlera pour ce qu'il est, la négation de la vie, un principe de dissolution et de décadence.
Il faut aller ici jusqu'au tréfonds des choses et s'interdire toute faiblesse sentimentale : vivre, c'est essentiellement dépouiller, blesser, violenter le faible et l'étranger, l'opprimer, lui imposer durement ses formes propres, l'assimiler ou tout au moins (c'est la solution la plus douce) l'exploiter; mais pourquoi employer ces mots auxquels depuis longtemps s'attache un sens calomnieux? Le corps à l'intérieur duquel, comme il a été posé plus haut, les individus se traitent en égaux - c'est le cas dans toute aristocratie saine - est lui-même obligé s'il est vivant et non moribond, de faire contre d'autres corps ce que les individus dont il est composé s'abstiennent de se faire entre eux. Il sera nécessairement volonté de puissance incarnée voudra croître et s'étendre, accaparer, conquérir la prépondérance, non pour je ne sais quelles raisons morales ou immorales, mais parce qu'il vit et que la vie précisément, est volonté de puissance."
(Alexandre Lacroix propose une petite présentation de cet extrait dans un ancien numéro de Philosophie Magazine ici)

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