La paix



La paix
Projet Les mille univers / Institut d'Education Motrice-LADAPT Trouy / Clotilde Lamy



Pablo PICASSO, 
La colombe de la paix (vers 1950), 
Musée d'Art Moderne de Paris
 


1ère séance vendredi 31 mai 2024 

"La paix!"
Dans quelles situations en ressentons-nous le besoin et que désirons-nous quand nous réclamons la paix?


"Je veux la paix", "Fichez-moi la paix", "Laissez-moi en paix", qu'est-ce que cela signifie?



A qui ou à quoi le dit-on?

A qqn qui nous embête, volontairement (méchant, ennemi), ou involontairement (contrainte, pression, stress)

On ne peut pas le dire quand notre pays est en guerre.

On peut le souhaiter quand notre corps ou quand des pensées nous assaillent.

Ou tout simplement quand on ne peut pas vivre à notre rythme.

Quand notre tranquillité est troublée, que la présence des autres ou d'autre chose est vécue comme une invasion. Quand on sent du désordre en soi à cause de tout cela. Et nous-mêmes nous avons envie d'être violents.



"Etre en paix", qu'est-ce que cela évoque ?

L'absence de guerre (niveau international). La tranquillité.

Les images : ?

Les symboles de la paix, vie publique : ici ; wikipédia ici. Peace and love, drapeau blanc, se tenir la main ou s'embrasser

Les lieux, pour chacun : être dans sa chambre la porte fermée, seul, à faire ce qu'on veut, à son rythme.

ROUSSEAU :  "Le repos l’union la concorde, toutes les idées de bienveillance et d’affection mutuelle semblent renfermées dans ce doux mot de paix. Il porte à l’âme une plénitude de sentiment qui nous fait aimer à la fois notre propre existence et celle d’autrui […]" Principes du droit de la guerre, Écrits sur la paix perpétuelle.

Vivre en paix, selon ROUSSEAU : « paisiblement dans une douce société avec [ses] concitoyens, exerçant envers eux, et à leur exemple, l’humanité, l’amitié et toutes les vertus » (Dédicace du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes)



La référence philosophique du jour : les stoïciens, à la recherche de l'ataraxie

Chercher la tranquillité de l'âme, ne pas se laisser polluer par les injustices ou les malheurs; conserver son âme comme une "citadelle intérieure", en se concentrant plutôt sur son "choix de vie" (quel genre d'homme ou de femme j'ai envie d'être, comment dois-je me comporter pour être digne à mes propres yeux?) que sur ce qui nous arrive et tout ce qui "ne dépend pas de nous".

Comment y arriver?

Comme les feuilles de l'arbre tombent en automne ou que la pluie mouille, nous devons comprendre ce qui se passe dans la nature, et dans les autres hommes, savoir à quoi nous attendre, et accepter ce que nous ne pouvons pas éviter (la nécessité, la nature des choses). Cela demande d'être concentré, et de s'entraîner, en commençant modestement. Il peut être utile d'anticiper, de prévoir les ennuis à l'avance pour s'y préparer et réfléchir à la bonne réaction à adopter : celle qui laisse la frustration hors de notre coeur.


EPICTETE (esclave grec), Manuel

I : "De toutes les choses du monde, les unes dépendent de nous, les autres n'en dépendent pas. Celles qui en dépendent sont nos opinions, nos mouvements, nos désirs, nos inclinations, nos aversions ; en un mot, toutes nos actions.

Celles qui ne dépendent point de nous sont le corps, les biens, la réputation, les dignités ; en un mot, toutes les choses qui ne sont pas du nombre de nos actions."

IV  : "Quand tu es sur le point d'entreprendre une chose, mets-toi bien dans l'esprit ce qu'est la chose que tu vas faire. Si tu vas te baigner, représente-toi ce qui se passe d'ordinaire dans les bains publics, qu'on s'y jette de l'eau, qu'on s'y pousse, qu'on y dit des injures, qu'on y vole. Tu iras ensuite plus sûrement à ce que tu veux faire, si tu te dis auparavant : « Je veux me baigner, mais je veux aussi conserver ma liberté et mon indépendance, véritable apanage de ma nature. » Et de même sur chaque chose qui arrivera. Car, de cette manière, si quelque obstacle t'empêche de te baigner, tu auras cette réflexion toute prête : « Je ne voulais pas seulement me baigner, mais je voulais aussi conserver ma liberté et mon indépendance ; et je ne les conserverais point, si je me fâchais. »"

XX : "Souviens-toi que ce n'est ni celui qui te dit des injures, ni celui qui te frappe, qui t'outrage ; mais c'est l'opinion que tu as d'eux, et qui te les fait regarder comme des gens dont tu es outragé. Quand quelqu'un donc te chagrine et t'irrite, sache que ce n'est pas cet homme-là qui t'irrite, mais ton opinion. Efforce-toi donc, avant tout, de ne pas te laisser emporter par ton imagination ; car, si une fois tu gagnes du temps et quelque délai, tu seras plus facilement maître de toi-même."

XXVIII : "Si quelqu'un livrait ton corps à la discrétion du premier venu, tu en serais sans doute très fâché ; et lorsque toi-même tu abandonnes ton âme au premier venu, afin que, s'il te dit des injures, elle en soit émue et troublée, tu ne rougis point !"

(texte intégral ici)


MARC AURELE (empereur romain), Pensées pour moi-même.

II, 1 : "Dès l’aurore, dis-toi par avance : « Je rencontrerai un indiscret, un ingrat, un insolent, un fourbe, un envieux, un insociable. Tous ces défauts sont arrivés à ces hommes par leur ignorance des biens et des maux. Pour moi, ayant jugé que la nature du bien est le beau, que celle du mal est le laid, et que la nature du coupable lui-même est d’être mon parent, non par la communauté du sang ou d’une même semence, mais par celle de l’intelligence et d’une même parcelle de la divinité, je ne puis éprouver du dommage de la part d’aucun d’eux, car aucun d’eux ne peut me couvrir de laideur. Je ne puis pas non plus m’irriter contre un parent, ni le prendre en haine, car nous sommes nés pour coopérer, comme les pieds, les mains, les paupières, les deux rangées de dents, celle d’en haut et celle d’en bas. Se comporter en adversaires les uns des autres est donc contre nature, et c’est agir en adversaire que de témoigner de l’animosité et de l’aversion. »"

IV, 3 : "On se cherche des retraites à la campagne, sur les plages, dans les montagnes. Et toi-même, tu as coutume de désirer ardemment ces lieux d’isolement. Mais tout cela est de la plus vulgaire opinion, puisque tu peux, à l’heure que tu veux, te retirer en toi-même. Nulle part, en effet, l’homme ne trouve de plus tranquille et de plus calme retraite que dans son âme, surtout s’il possède, en son for intérieur, ces notions sur lesquelles il suffit de se pencher pour acquérir aussitôt une quiétude absolue, et par quiétude, je n’entends rien autre qu’un ordre parfait."

V, 1 : "Au petit jour, lorsqu’il t’en coûte de t’éveiller, aie cette pensée à ta disposition : c’est pour faire œuvre d’homme que je m’éveille. Serai-je donc encore de méchante humeur, si je vais faire ce pourquoi je suis né, et ce en vue de quoi j’ai été mis dans le monde ? Ou bien, ai-je été formé pour rester couché et me tenir au chaud sous mes couvertures ?

— Mais c’est plus agréable !

— Es-tu donc né pour te donner de l’agrément ? Et, somme toute, es-tu fait pour la passivité ou pour l’activité ? Ne vois-tu pas que les arbustes, les moineaux, les fourmis, les araignées, les abeilles remplissent leur tâche respective et contribuent pour leur part à l’ordre du monde ? Et toi, après cela, tu ne veux pas faire ce qui convient à l’homme ? Tu ne cours point à la tâche qui est conforme à la nature ?

— Mais il faut aussi se reposer.

— Il le faut, j’en conviens. La nature cependant a mis des bornes à ce besoin, comme elle en a mis au manger et au boire. Mais toi pourtant, ne dépasses-tu pas ces bornes, et ne vas-tu pas au delà du nécessaire ? Dans tes actions, il n’en est plus ainsi, mais tu restes en deçà du possible. C’est qu’en effet, tu ne t’aimes point toi-même, puisque tu aime-rais alors, et ta nature et sa volonté. Les autres, qui aiment leur métier, s’épuisent aux travaux qu’il exige, oubliant bains et repas. Toi, estimes-tu moins ta nature que le ciseleur la ciselure, le [72] danseur la danse, l’avare l’argent, et le vaniteux la gloriole ? Ceux-ci, lorsqu’ils sont en goût pour ce qui les intéresse, ne veulent ni manger ni dormir avant d’avoir avancé l’ouvrage auquel ils s’adonnent. Pour toi, les actions utiles au bien commun, te paraissent-elles d’un moindre prix, et dignes d’un moindre zèle ?"

Texte intégral ici.


Questions finales : 

- si nous avons besoin de nous isoler pour être en paix, doit-on rechercher la solitude pour être heureux?

- faudrait-il alors accepter de se laisser bousculer ou injurier sans riposter?


A préparer pour la prochaine fois : 

- qu'est-ce qu'on a retenu?

- quelle musique m'apaise? (l'apporter)



2e séance - vendredi 6 juin 2024

" Qui veut la paix prépare la guerre "


Point sur la séance 1 : 

Ce qu'on a établi : on s'est surtout souvenu de Poutine...

Ce qui reste problématique : que faire si quelquu'un est hostile, va-t-on se contenter de subir en cherchant pour soi une paix intérieure?

Ce qu'on aimerait conserver et partager : Nathalie a fait des dessins pendant la séance.


Les musiques ou chansons apportées : 

Clotilde : Bach / Marcello (par Florence Robineau ici, ou Irina Lankova ici)



L'avancée du projet

...


La séance "qui vis pacem para bellum"

Départ (remarque de la fin de la première séance) : si on me pousse, dois-je me laisser faire, comme un stoïcien et me consoler en me disant qu'on a seulement poussé mon corps, mais que je fais ce que je veux de mon âme?


Comment dans cette perspective, pourrait-on interpréter le pacifisme?

L'attitude pacifique serait plutôt interprétée comme... de la lâcheté, de la "vile soumission" (Romeo et Juliette).(apporter DVD)

La paix reste le but, si possible.

Pourquoi la guerre serait-elle alors plus désirable?

La guerre, ou la possibilité de la guerre, serait le moyen nécessaire, prudent, de conserver notre paix. 

"Partir en guerre", "se battre pour....".

A l'ONU il y a des casques bleus, et l'OTAN organise un usage dissuasif de la force. La contrainte est nécessaire face aux hommes qui ne connaissent que l'usage de la force, qu'on ne peut raisonner par la parole ni émouvoir par sa propre bienveillance.

Renonce-t-on à la paix en faisant cela ?

Quelle paix chercher-t-on à préserver quand on part en guerre?

Il s'agit de faire la guerre à l'extérieur pour rester en paix à l'intérieur (qu'on se place au niveau politique ou personnel).


Pour comprendre sur quelle conception de l'homme cela s'appuie, on va cheminer avec Machiavel et Hobbes


La 1ère référence philosophique : Machiavel et le "machiavélisme"


portrait de Machiavel par Santi di Tito, Palazzio Vecchio, Florence

MACHIAVEL : conseil au prince avec hommes réels, avec leurs passions. Le prince doit assurer sa stabilité aussi bien à l'intérieur de son pays qu'avec ses voisins. C'est pour Machiavel la priorité : l'ordre et la sécurité. Et cela justifie par avance toutes les cruautés ou toutes les ruses qui seront nécessaires pour y parvenir.

"Dans Le Prince (1532)Nicolas Machiavel écrit que « la guerre est toujours juste lorsqu’elle est nécessaire, et les armes sont sacrées lorsqu’elles sont l’unique ressource des opprimés ». Néanmoins, personne ne peut vouloir la guerre pour elle-même car elle est systématiquement coûteuse pour tous. Par conséquent, il faut toujours lui préférer le maintien de la paix, mais à la seule condition de considérer celle-ci autrement que sous l’angle du respect inconditionnel des institutions politiques et du maintien de l’ordre social" (Philo Mag)

La 2e référence philosophique : Hobbes et la guerre de tous contre tous.


portrait de Hobbes par John Michael Wright, National Portrait Gallery Londres

HOBBES, décrit "l'état de nature" (les relations entre les hommes tant qu'il n'y a pas d'Etat), comme une guerre de tous contre tous. Selon lui, c'est aussi ce qui se passe lorsque l'Etat faiblit, ou dès que nous ne sommes plus sûrs qu'il nous protège.

« Je montre d'abord que l'état des hommes sans société civile (quel état peut être nommé l'état naturel) est rien sauf une guerre de tous contre tous ; et que, dans cet état, tous ont le droit de toutes choses. »

"Si deux hommes désirent la même chose alors qu'il n'est pas possible qu'ils en jouissent tous les deux, ils deviennent ennemis: et dans leur poursuite de cette fin (qui est, principalement, leur propre conservation, mais parfois seulement leur agrément), chacun s'efforce de détruire ou de dominer l'autre. Et de là vient que, là où l'agresseur n'a rien de plus à craindre que la puissance individuelle d'un autre homme, on peut s'attendre avec vraisemblance, si quelqu'un plante, sème, bâtit, ou occupe un emplacement commode, à ce que d'autres arrivent tout équipés, ayant uni leurs forces, pour le déposséder et lui enlever non seulement le fruit de son travail, mais aussi la vie ou la liberté. Et l'agresseur à son tour court le même risque à l'égard d'un nouvel agresseur.
Du fait de cette défiance de l'un à l'égard de l'autre, il n'existe pour nul homme aucun moyen de se garantir qui soit aussi raisonnable que le fait de prendre les devants, autrement dit, de se rendre maître, par la violence ou par la ruse, de la personne de tous les hommes pour lesquels cela est possible, jusqu'à ce qu'il n'aperçoive plus d'autre puissance assez forte pour le mettre en danger. Il n'y a rien là de plus que n'en exige la conservation de soi-même, et en général on estime cela permis. [...]"

"Les humains n'éprouvent aucun plaisir (mais plutôt un grand déplaisir) à demeurer en présence les uns des autres s'il n'y a pas de puissance capable de les tenir tous en respect. Car chacun cherche à s'assurer qu'il est évalué par son voisin au même prix qu'il s'évalue lui-même ; et à tout signe de mépris, chaque fois qu'on le sous-estime, chacun s'efforce naturellement, dans la mesure où il l'ose (ce qui, parmi ceux qu'aucune puissance commune ne tient tranquilles, est suffisant pour qu'ils s'exterminent les uns les autres), d'obtenir par la force que ses contempteurs admettent qu'il a une plus grande valeur, et que les autres l'admettent par l'exemple.

En sorte qu'on trouve dans la nature humaine trois causes principales de conflit : premièrement, la compétition ; deuxièmement, la défiance ; troisièmement, la gloire.

La première pousse les hommes à attaquer pour le profit, la seconde pour la sécurité et la troisième pour la réputation. Dans le premier cas ils utilisent la violence pour se rendre maîtres de la personne d'autres hommes, femmes, enfants, et du bétail ; dans le second, pour les défendre ; dans le troisième, pour des détails, comme un mot, un sourire, une opinion différente et tout autre signe qui les sous-estime, soit directement dans leur personne, soit, par contrecoup, dans leur parenté, leurs amis, leur nation, leur profession ou leur nom.

Par cela il est manifeste que pendant ce temps où les humains vivent sans qu'une puissance commune ne leur impose à tous un respect mêlé d'effroi, leur condition est ce qu'on appelle la guerre ; et celle-ci est telle qu'elle est une guerre de chacun contre chacun. En effet, la guerre ne consiste pas seulement dans la bataille ou dans l'acte de combattre, mais dans cet espace de temps pendant lequel la volonté d'en découdre par un combat est suffisamment connue ; et donc, la notion de temps doit être prise en compte dans la nature de la guerre, comme c'est le cas dans la nature du temps qu'il fait. Car, de même que la nature du mauvais temps ne consiste pas en une ou deux averses, mais en une tendance au mauvais temps, qui s'étale sur plusieurs jours, de même, en ce qui concerne la nature de la guerre, celle-ci ne consiste pas en une bataille effective, mais en la disposition reconnue au combat, pendant tout le temps qu'il n'y a pas d'assurance du contraire. Tout autre temps est la paix.

Donc, toutes les conséquences du temps de guerre, où chacun est l'ennemi de chacun, sont les mêmes que celles du temps où les humains vivent sans autre sécurité que celle procurée par leur propre force, ou leur propre ingéniosité. Dans une telle situation, il n'y a de place pour aucune entreprise parce que le bénéfice est incertain, et, par conséquent, il n'y a pas d'agriculture, pas de navigation, on n'utilise pas les marchandises importées par mer, il n'y a ni vastes bâtiments ni engins servant à déplacer et déménager ce qui nécessite beaucoup de force ; il n'y a aucune connaissance de la surface terrestre, aucune mesure du temps, ni arts ni lettres, pas de société ; et, ce qui est pire que tout, il règne une peur permanente, un danger de mort violente. La vie humaine est solitaire, misérable, dangereuse, animale et brève.


Thomas Hobbes, Léviathan (1651), ch 13

C'est pour la même raison qu'on recherche la paix et qu'on fait la guerre : pour notre sécurité.

"C'est une règle générale de la raison que tout homme doit s'efforcer à la paix, aussi longtemps qu'il a un espoir de l'obtenir; et quand il ne peut pas l'obtenir, qu'il lui est loisible de rechercher et d'utiliser tous les secours de la guerre"

"Aussi longtemps que chacun conserve son droit de faire tout ce qui lui plaît, tous les hommes sont dans l'état de guerre" (Lev XIV)

"Quand Karl Marx et Friedrich Engels écrivent dans le Manifeste du parti communiste (1848) que « l’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de luttes de classes », ils nous rappellent que la conflictualité est inscrite au cœur des sociétés humaines : les divergences d’intérêt alimentées par leurs désirs mettent les êtres humains en concurrence et en opposition"  (Philo Mag)


On a terminé la séance en regardant tous les dessins de Nathalie.


3e séance - vendredi 14 juin 2024

"Faire la paix"

construire la paix ensemble plutôt que d'imposer la pacification de force





La séance : comment "faire la paix"?

Nous cherchons aujourd'hui, comment on peut "faire la paix" - pour que l'arrêt des hostilités ne soit pas une simple trêve.

"Paix", par étymologie, désigne une convention, qui implique une volonté réciproque de régler un conflit, et un accord qui est un engagement: le traité de paix installe la paix comme la situation légitime.

Le mot latin Pax vient de pangere : fixer, planter, établir solidement et s'engager à, promettre.

Le mot grec Eirene vient de eiro, s'engager à, tenir parole.


Quelles sont les conditions pour qu'on ait vraiment affaire à la paix?

La paix doit donc être solide, longue : pas une simple trêve; la paix, pour être réelle, doit durer.


De plus, elle doit apparaître comme la situation normale. 

On doit distinguer entre une situation de fait et une situation de droit, une situation naturelle et un acte de la volonté.


Enfin, elle est partagée et conclue : il faut que les deux camps soient d'accord et manifestent des intentions pacifiques réciproques, pour que la paix soit effective. Si l'un demeure hostile ou rancunier, la paix ne pourra pas tenir. 

Fumer ensemble le "calumet de la paix" était une façon de montrer cet accord, comme la poignée de main des chefs d'Etat.


Qu'est-ce qu'une vraie paix? Quelle différence avec une pacification par la violence? Ou une paix imposée par la terreur?


Concrètement, comment parvenir à un accord de paix?

Il faut des intentions pacifiques. Et la capacité à pardonner (encouragée par toutes les religions). 

Si un des côtés reste avec de la rancoeur ou de la colère, la paix sera superficielle.


Mais aussi une force contraignante, pour avoir des garanties. Une tierce autorité peut être bénéfique (les parents, un juge, l'OTAN...).


Peut-être des techniques peuvent aussi fluidifier la mise en place de l'accord (la diplomatie, la communication non violente). 

On s'est attardé sur les principes de la communication non violente : 

- le but, qui est de trouver un accord, de chercher une solution qui permettra de se mettre d'accord même si on était initialement en désaccord (il faut changer de terrain, inventer une solution; c'est souvent plus facile avec quelqu'un de l'extérieur, et il faut que les deux côtés acceptent d'écouter l'autre au lieu de rester crispé sur leur seule volonté; 

-parfois, il faut commencer par s'isoler, pour se calmer, en respirant ou en tournant son envie de violence contre un objet, un oreiller par exemple

- il faut être capable de parler, sans crier, sans insulter

- mais il faut se permettre d'exprimer ses émotions, et en particulier dire ce qui nous a mis en colère


Dans la séance, on a beaucoup insisté sur les repas pris en commun avec les co-pains ou la famille, qui renforcent le sentiment d'unité, de communauté, de cohésion interne : on ne partage pas la nourriture avec les personnes qu'on n'aime pas (on aurait peur d'être empoisonné!).

Pour que le partage soit vraiment pacifique, il faut qu'il soit juste!

C'est la même chose pour la paix : si la paix passe par la soumission d'un des deux côtés, c'est une domination, et non pas un vrai accord, pas une concorde.


La référence philosophique : SPINOZA

Spinoza est un philosophe hollandais du 17e s.

"L'expérience paraît enseigner que, dans l'intérêt de la paix et de la concorde, il convient que tout le pouvoir soit concentré dans les mains d'un seul. Nul Etat, en effet, n'est demeuré aussi longtemps sans aucun changement notable que celui des Turcs, et en revanche nulles cités n'ont été moins durables que les Cités populaires ou démocratiques, et il n'en est pas où se soient élevées plus de séditions. Mais si "paix" est le nom que méritent de porter la servitude, la barbarie et la solitude, il n'est rien pour les hommes de si lamentable que la paix. Entre les parents et les enfants, il y a certes plus de querelles et des discussions plus âpres qu'entre maîtres et esclaves, et cependant il n'est pas dans l'intérêt d'une saine gestion de la famille que l'autorité paternelle se transforme en droit de propriété et de domination et que les enfants soient traités en esclaves. C'est donc la servitude, non la paix, qui demande que le pouvoir passe entre les mains d'un seul : ainsi nous l'avons déjà dit, la paix ne consiste pas dans l'absence de guerre mais dans l'union des âmes, c'est-à-dire dans la concorde" (Traité politique, VI, 1) 

(explication de Marion Duchauvel ici)

"Lorsque les sujets d'une nation donnée sont trop terrorisés pour se soulever en armes, on ne devrait pas dire que la paix règne dans ce pays, mais seulement qu'il n'est point en guerre. La paix, en vérité, n'est pas une simple absence d'hostilités, mais une situation positive, dont certaine force de caractère est la condition. En effet on sait que la soumission consiste en une volonté constante d'exécuter les actes dont l'accomplissement est prescrit par une décision générale de la nation. Quelquefois aussi, il arrive qu'une nation conserve la paix à la faveur seulement de l'apathie des sujets, menés comme du bétail et inaptes à s'assimiler quelque rôle que ce soit sinon celui d'esclaves. Cependant, un pays de ce genre devrait plutôt porter le nom de désert, que de nation !
     En d'autres termes, quand nous disons que l'Etat le meilleur est celui où les hommes passent leur vie dans la concorde, nous voulons parler d'une vie humaine définie, non point par la circulation du sang et les différentes autres fonctions du règne animal, mais surtout par la raison : vraie valeur et vraie vie de l'esprit."

Traité de l'Autorité politique, Chapitre V, §§. 4-5

On ne pourra donc pas parler de paix pour une pacification brutale, pour le "droit du plus fort"; la paix s'applique à une situation de justice, un accord. Car la paix des vainqueurs, imposée de force, nourrit la rancoeur (Traité de Versailles) - la paix stable doit mettre en avant la communauté (fondation de l'Europe avec le couple franco-allemand à l'issue de la 2e Guerre Mondiale)

Quelques lignes extraites de Philosophie Magazine : "Au livre II, chapitre 3 du Contrat social (1762)Jean-Jacques Rousseau explique que celui qui cède à la force de son adversaire ne se sent jamais tenu de lui obéir par obligation mais uniquement par contrainte: « S’il faut obéir par force, on n’a pas besoin d’obéir par devoir, et si l’on n’est plus forcé d’obéir, on n’y est plus obligé. » Or, si la guerre consiste à imposer sa volonté par la force à l’adversaire, alors, même quand la lutte armée est terminée et qu’un camp a pris le pas sur l’autre, le conflit subsiste. Par conséquent, le rapport de force demeure et, avec lui, l’absence de reconnaissance de la légitimité de la situation politique qui s’ensuit. Aussi l’ordre instauré n’est-il pas reconnu comme juste par les battus. (...)

La paix peut occulter une situation structurelle d’injustice. Souvenons-nous que certaines guerres de conquêtes impériales ont été qualifiées d’opérations de « pacification », et que la société coloniale mise en place une fois la population locale vaincue était tout sauf juste, comme pour l’Algérie française où l’égalité des citoyens devant la loi n’existait pas. Il y a donc des paix injustes qui, souvent, constituent les prémices de la prochaine guerre à venir, telle celle du Traité de Versailles, qui punit lourdement l’Allemagne après la Première Guerre mondiale et au sujet de laquelle les historiens s’accordent à penser qu’elle a en grande partie déterminé l’advenue de la Seconde. 

Critiquant Hobbes, Rousseau faisait remarquer que sa conception de la paix civile équivalait à réduire celle-ci à la sécurité. Or, la préservation de l’ordre social tel qu’il est peut parfaitement s’accommoder du maintien d’injustices flagrantes à l’intérieur d’une société."

pas seulement la paix des vainqueurs, imposée de force, qui nourrit la rancoeur (1ère GM)


pour aller plus loin, dossier philomag 17 février 2008, Israel Palestine, article "faire la paix", ici



4e séance - vendredi 21 juin

"Rester en paix"

On se demande aujourd'hui si nous voulons vraiment "rester en paix"... une inscription que l'on trouve sur les tombes (en France, "Repose en paix", en anglais "Rest in Peace", abrégé en RIP).

ROUSSEAU "On vit en paix aussi dans les cachots" : sans liberté, la tranquillité ne vaut rien

« malo periculosam libertatem quam quietum servitium », Je préfère une liberté agitée à une servitude tranquille Tacite, cité par Rousseau, CS, III, 4

L’État va à sa perte quand les citoyens « sont plus amoureux du repos que de la liberté", CS III, 14


BERGSON : aspect bénéfique d'une crise

LEIBNIZ : l'inquiétude (le désir)

Distinguer le désaccord et l'hostilité, le conflit : PLATON, Gorgias, belles et moches discussions. Dialectique, débat... dans le respect! a l'opposé de l'envie de domination et des stratégies d'humiliation ou d'intimidation

créer plutôt un équilibre dynamique, pas une immobilité sclérosée

même quand on se sent en paix avec soi-même, cela implique un certain dédoublement, qui n'est pas schizophrénie....


Quand John Rawls écrit dans sa Théorie de la justice (1971)qu’« un certain degré d’accord sur les conceptions de la justice n’est pas la seule condition préalable à une société humaine viable », il signifie qu’un régime politique ne conserve sa légitimité auprès de la population que s’il organise l’expression et le règlement des désaccords qui ne manquent pas de survenir au cours du temps. De ce point de vue, la paix désigne à la fois la condition et la conséquence de l’art politique de nous accorder dans le désaccord. De telle sorte que vouloir la paix, c’est d’abord vouloir prévenir en permanence et lutter contre les injustices avec les moyens du droit. Injustices qui naissent quand une partie de la population ne peut faire entendre des revendications. (philo mag)

condition d'une paix durable, profonde : vraie justice, qui est toujours mise en relation

(une certaine compréhension du libéralisme insiste sur le besoin de mouvement, mais il est délétère car nourri d'injustice et d'exploitation, avec la concurrence qui l'emporte finalement, au lieu qu'elle ne soit qu'un moyen, comme on pourrait trouver l'idée chez Kant qui in fine veut que la civilisation s'impose)

Tout le monde a en tête la formule de Carl von Clausewitz : « La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. » Indirectement, elle nous rappelle qu’au nom de la paix, il ne faut pas renoncer à faire de la politique : c’est-à-dire, en premier lieu, assumer collectivement l’irréductible niveau de conflictualité existant à l’intérieur des sociétés humaines et entre elles. Si la démocratie, au sens fort du terme, doit rester précieuse à nos yeux, c’est précisément parce qu’elle garantit, en principe, l’expression et la prise en compte du désaccord grâce à la mise en forme institutionnelle du débat. (philo mag)

conclu : pas renoncer à la dimension de débat, d'altérité.



5e séance - vendredi 28 juin 2024

titre à définir



Quelques références supplémentaires


Michael Jackson, "Heal the world", le clip ici

Ben Mazué et Louane, "La mer est calme", le clip ici.

John Lennon, "Give peace a chance", à écouter ici.

sujet du bac 2023 "Vouloir la paix, est-ce vouloir la justice?", corrigé Philosophie Magazine par Mathias Roux ici.

Kant et le projet de paix perpétuelle, article radiofrance de 2020 par Franck Olivar ici

Paix et Hobbes, avec tradition, article de Raymond Polin ici.

The Jamaicans, "Peace and Love", à écouter ici.

Géraldine Lepan, Que signifie vivre en paix pour Rousseau? ici.

Gaetan Demulier, Qq réflexion sur la paix et la guerre (15p) ici.



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