Les ateliers philo de Clotilde #12 : L'égalité entre hommes et femmes est-elle une marque de respect?

Textes de Félix : 

Le premier texte nous permet de reprendre la question des droits et de l'égalité des droits que nous avions déjà mise en place à la séance précédente; il questionne le rapport entre ces droits et la tradition, ainsi que le décalage entre les principes ou les discours et la réalité; il nous invite à articuler la distinction entre inégalité et différence et aussi à envisager l'ensemble en tenant compte de la place du corps - j'ajouterais celle du désir entre les femmes et les hommes.


Les Staphilocoqs et l’égalité femme homme.

Jaurelbac : Bonjour tout le monde !

Barmandabor : Tiens, voilà notre jeune en phase Terminale ; c’est encore pour une dissert ?

Jaurelbac : Ben oui, le sujet c’est « L’égalité Homme femme est-elle une marque de respect ? ».

Psycholocath : La question est incongrue ; quel rapport entre l’égalité entre les hommes et les femmes avec le respect ?

Touristophilos : En fait, la question est de savoir si l’inégalité entre les hommes et les femmes serait un manque de respect.

Prophilorthonormé : Traditionnellement, il est d’usage d’accorder plus de respect aux femmes parce qu’elles sont plus faibles que les hommes.

Scientor : Ou alors, parce que ce sont elles qui assurent l’avenir de l’humanité. Ne dit-on pas quand il y a grand péril  « Les femmes et les enfants d’abord »?

Butospor : Tu veux dire, parce que c’est elles qui font les gosses et s’en occupent ?

Psycholocath : On voit bien à vos réactions que la question fait resurgir dans les esprits, comment dire, des vieux clichés dès qu’on parle des femmes !
Touristophilos : Il faut revenir à cette histoire d’égalité. Remarquez en passant qu’il y a de fortes inégalités entre les femmes comme il y en a entre les hommes.

Philoxéra : La question n’est pas là ; il s’agit plutôt de l’égalité en droits de tous les êtres humains. Donc, il ne s’agit pas du respect de l’égalité entre les hommes et les femmes mais du respect de la loi, de la déclaration des droits du citoyen, femme ou homme confondus.

Politicoyaka : Tsss ! Atterrissez, à travail égal, les femmes gagnent 20% de moins que les hommes. Elle est où là, la marque de respect de l’égalité homme/femme ?

Butospor : Dans la salle de bain le nombre de flacons de ma femme, c’est quatre fois plus que j’en utilise, pareil pour les fringues et les chaussures. Rien que pour ça, les femmes devraient gagner plus que les hommes !
Psycholocath : Pensez-vous que la question soit perçue de la même façon par les femmes et par les hommes ?
Prophilorthonormé : Bien sûr que non. Nous, nous la plaçons sur un plan philosophique pour construire un cadre intellectuel qui permette d’établir les bases de ce respect. Alors que vous, vous vivez cette question au quotidien en termes de revendication. 
Psycholocath : Ah ah ! C’est vrai, j’avais oublié, les femmes sont incapables de penser !
Artpoésis : Et qui te dis que nous revendiquons cette égalité ? C’est plus subtil que tes théories. Si inégalité il y a, nous savons très bien en jouer.

Touristophilos : Tu veux dire que, d’un certain point de vue, vous revendiquez votre différence et tenez à ce qu’elle soit respectée ?
Scientor : Bien vu ! C’est paradoxal. Comment parler d’égalité entre des êtres qui présentent des différences ?!
Philoxéra : Eh bien, la question ne peut se poser qu’en termes de droits.
Touristophilos : Oui, mais ça n’épuise pas le sujet. Il y a le droit et il y a le corps.  Le corps de la femme a toujours fasciné, autant le publiciste que le poète et l’artiste en général.
Artpoésis : Et alors ?! Tu dérailles complètement, ce n’est pas le sujet !
Prophilorthonormé : Pas tant que ça, les religions du livre se méfiaient du pouvoir maléfique qu’exerce le corps des femmes sur les hommes, raison pour laquelle elles devaient être voilées et soumises à l’homme.
Artpoésis : Je te signale qu’on est au XXI siècle !
Politicoyaka : Bon d’accord, on s’enlise à parler des différences dans un contexte d’égalité. Ce que je viens d’entendre me fait dire qu’il est illusoire de penser la femme ou l’homme comme des citoyens isolés, comme un composé chimique qu’on aurait extrait et purifié de son minerai. La dimension féminine et celle de l’homme sont conditionnées, façonnées par le cercle familial, la culture et la religion d’appartenance.
Artpoésis : Et où tu veux en venir ?
Politicoyaka : Hé bien au sujet, en posant la question sous un autre angle : Est-ce respecter une culture, une religion qui par ses us et coutumes revendique l’inégalité entre les femmes et les hommes ?
Psycholocath : Ah le pourri ! Sans en avoir l’air, tu nous amènes sur le terrain miné de l’actualité, la question du port du voile et au-delà, celle de l’islam en France. Très peu pour moi ; je viens ici pour me détendre, pas pour me prendre la tête !
Scientor : Oui je suis d’accord. Je pensais à comment sortir de ce paradoxe de l’égalité dans la différence ?
Touristophilos : J’ai un exemple tout bête : Dans certains pays, tous les élèves doivent porter un uniforme ; ça c’est l’égalité. Mais les filles ont le leur, naturellement, c’est pas celui des garçons ; ça c’est pour la différence.
Scientor : Ah oui, pas mal, il s’agit bien du corps et du paraître et comme c’est la règle, du droit.
Butospor : Oui mais ça ne m’explique pas pourquoi ma femme a besoin de tant de produits de beauté, de fringues et de chaussures !
Artpoésis : Mais c’est pour te faire honneur quand tu la sors avec ton gros 4X4 ! Psss... Les mecs parfois !
Scientor : Bon, je crois qu’on en a assez dit sur la question, non ?
Butospor : Mais on n’a pas parlé de l’égalité d’accès, aux stades, sur le terrain de foot, les équipes féminines, ni de l’accès aux plus hautes fonctions de l’Etat, tout ça …
Psycholocath : Tout ça, le droit de vote, d’avoir un compte en banque, c’est des exemples surfaits. D’ailleurs on pourrait parler aussi pour les hommes du droit d’accès à la machine à laver, à la planche à repasser, au ménage….
Philoxéra : En somme il s’agirait de l’égalité par le partage des tâches et des responsabilités.
Butospor : Ah OK ! Par exemple chez nous, c’est moi qui lave le 4X4 et sort la poubelle et c’est ma femme qui braille après les gosses quand ils font des conneries.
Psycholocath : Et ben voilà ! C’est t’y pas beau !
Barmandabor : Je vous signale que je vais fermer. Alors tous dehors, sans distinction !
Jaurelbac : Bon ben merci, je vais essayer de me débrouiller avec çà en reprenant la notion de respect ; assurer la dignité qu’on doit à tous. Après tout, dans une société inégalitaire, le respect peut être de mise si l’inégalité est admise par tous ?
Barmandabor : C’est ça ; allez oust, dehors !
En sortant, les Staphilos, tels des péripatéticiens, continuèrent à discuter en marchant. Touristophilos dit qu’on n’avait pas parlé de la prostitution. Aussitôt, Artpoésis qui n’avait pas apprécié qu’on la prenne pour un objet sexuel lui fit remarquer qu’il n’y avait de bordels que pour les hommes et que les femmes qui avaient des envies étaient vite traitées de tous les noms.
Bref, ça dériva grave et Philoxéra se dit qu’il y avait encore du chemin à faire !

Félix, le 17/11/2019

Deuxième texte, avec un nouveau titre! 

Le respect entre les hommes et les femmes, une affaire d’égalité ?
Jaurelbac : Bonsoir, me revoilà !
Psycholocath : Tu as fini ta dissert ?
Jaurelbac : La crise ! Oui pratiquement, mais la prof a encore modifié le sujet à la dernière minute !
Scientor : Et alors, ça change quoi ?
Jaurelbac : Ben à mon avis, pas qu’un peu ! Maintenant c’est «Le respect entre les hommes et les femmes, une affaire d’égalité ? »
Scientor : Ben c’est à peu près la même chose, non ?
Philoxéra : Jaurelbac à raison, dans la première formulation, l’égalité était posée comme acquise alors que là, c’est le respect qui est posé d’entrée de jeu et on se demande si ça à voir avec l’égalité.
Touristophilos : Je suis d’accord ; d’ailleurs, il suffit d’ôter « et les femmes » pour s’en rendre compte. Ça donnerait « Le respect entre les hommes, une affaire d’égalité ? »
Psycholocath : C’est à se demander si on ne devait respecter que ceux qui nous sont égaux, une affaire d’alter égaux !
Philoxéra : C’est ce qu’écrit Nietzsche dans « Par-delà le bien et le mal » (1)
Touristophilos : Pour moi, c’est surtout une affaire de bien vivre ensemble. Après, pourquoi pas, on peut chercher s’il existe des corrélations entre respect et égalité entre les hommes.
Butospor : Oui, parce que s’il fallait attendre qu’il y ait égalité avec l’autre pour devoir se respecter, on aurait vite fait de se foutre sur la gueule !
Artpoésis : Dites donc, et si vous remettiez les femmes dans le circuit, pour voir ?!
Touristophilos : Bon, ben là on retombe à peu près dans la discute d’hier soir. Ça revient à poser qu’il ne peut y avoir de respect entre les hommes et les femmes que s’ils se considèrent égaux. 
Artpoésis : Au fait, vous avez vu le débat du 12 novembre sur la chaine du Sénat, « A qui appartient le corps des femmes ? » ?  C’était intéressant. Jaurelbac, tu devrais pouvoir le regarder en différé. (2)
Touristophilos : Je voudrais pas dire, mais formulé comme ça, c’est comme dire que les femmes seraient une marchandise !
Artpoésis : Ah mais qu’est-ce que tu es agaçant ! C’est juste un titre accrocheur pour lancer le débat.
Jaurelbac : Ça me tue ; en fait l’égalité c’est qu’on est tous pareils, hommes et femmes, pour vivre ensemble on se doit le respect, et basta !
Barmandabor : Bonne conclusion ! Et si vous buviez un coup ? Qu’est-ce que vous prenez ?
(1)  S'abstenir réciproquement d'offense, de violence et de rapine, reconnaître la volonté d'autrui comme égale à la sienne, cela peut donner, grosso modo, une bonne règle de conduite entre les individus, pourvu que les conditions nécessaires soient réalisées (je veux dire l'analogie réelle des forces et des critères chez les individus et leur cohésion à l'intérieur d'un même corps social). (..)Le corps à l'intérieur duquel, comme il a été posé plus haut, les individus se traitent en égaux - c'est le cas dans toute aristocratie saine. (..)
NIETZSCHE Par-delà Bien et Mal
(2) http://www.lcp.fr/collection/ces-idees-qui-gouvernent-le-monde/292210

Nous pouvons nous reporter aux textes déjà lus la séance dernière, sur la proclamation de l'égalité des droits (textes constitutionnels français) et de l'égale dignité de tous les hommes (donc des "hommes masculins" et des "hommes féminins") : ici. Nous avions aussi évoqué déjà la différence entre le respect et l'amour (qui sont souvent associés dans un couple). Il nous faudra tenir pendant la séance les deux champs : socio-politique et familial-personnel.

Juste pour sursauter un peu, quelques textes misogynes de KANT, puisque nous avions cheminé avec lui la dernière fois, extraits de ses Observations sur le sentiment du beau et du sublime, que j'ai trouvés sur le site Mediamus. Faut-il seulement penser qu'il était prisonnier des préjugés de son époque? Difficile à concevoir pour le maître de file des Lumières...

"Section III. De la différence du sublime et du beau dans le rapport des sexes

Le caractère naturel de ce sexe possède encore des traits qui lui sont propres, qui le différencient du notre et se font principalement connaître par le signe de la beauté. […] Une femme a un sentiment fort et inné de ce qui est beau, gracieux et orné. Dans l’enfance déjà, les femmes aiment les toilettes, et elles se plaisent elles-mêmes à se parer. Elles sont propres et très sensibles à ce qui peut provoquer du dégoût. Elles aiment la plaisanterie, et on peut les entretenir de bagatelles, pourvu qu’elles soient gaies et rieuses. […] Le beau sexe a autant d’entendement que le masculin, seulement, c’est un bel entendement, et le nôtre doit être un entendement profond, ce qui a la même signification qu’un entendement sublime."

S’ensuivent quelques recommandations sur l’éducation du « beau sexe » :
"Une réflexion profonde et une méditation continue et prolongée sont nobles mais difficiles et ne conviennent pas bien à une personne en laquelle les libres attraits ne doivent montrer rien d’autre qu’une belle nature. […] Une femme qui a la tête remplie de grec, comme Mme Darcier, ou qui discute à fond le mécanisme, comme la marquise du Châtelet, pourrait aussi porter une barbe; car celle-ci exprimerait plus visiblement encore l’air de profondeur qu’elles recherchent. […] En conséquence, la femme n’apprendra pas la géométrie. […] Les belles peuvent bien laisser Descartes faire tourner indéfiniment ses tourbillons sans s’en soucier. […] Elles ne vont pas se remplir la tête, en histoire de combats, en géographie de fortifications, car il leur convient aussi peut de sentir la poudre à canon qu’aux hommes de sentir le musc. "


"Section IV. Des caractères nationaux, en tant qu’ils reposent sur le sentiment différencié du sublime et du beau

La bonne blague de Kant
"Le Père Labat raconte qu’un serviteur nègre auquel il avait reproché une attitude arrogante envers ses femmes aurait répondu : « Vous le Blancs, vous êtes des vrais fous, car d’abord vous concédez trop à vos femmes, et ensuite vous vous plaignez qu’elles vous cassent la tête. » Aussi bien pourrait-il y avoir là quelque chose qui mérite qu’on y pense, mais, pour faire bref, ce gaillard était tout noir des pieds à la tête, preuve évidente que ce qu’il disait était stupide." (p. 170)



Un autre texte me paraît moins gênant parce qu'il peut se justifier par la réalité sociale de l'époque : c'est le 2e paragraphe de Qu'est-ce que les Lumières?
"La paresse et la lâcheté sont les causes qui font qu’une si grande partie des hommes (et parmi eux le sexe faible tout entier), après avoir été depuis longtemps affranchis par la nature de toute direction étrangère (naturaliter majorennes), restent volontiers mineurs toute leur vie, et qu’il est si facile aux autres de s’ériger en tuteurs. Il est si commode d’être mineur !"
Ce passage est tellement curieux qu'il me semble censuré dans de nombreuses éditions : la parenthèse est supprimée dans toutes les éditions en ligne!

Quand on parcourt les sites sur les relations de couple, on trouve en général des conseils très différenciés sur la façon de respecter une femme ou un homme. J'ai trouvé par exemple celui-ci qui se réclame du christianisme Blog couple chrétien : "Ce que les hommes trouvent irrespectueux (venant de leur femme)".
La plupart des approches de communication non violente insistent aussi sur la façon différente que les hommes et les femmes ont de manifester leur amour et leur respect : le très célèbre livre de John GRAY Les hommes viennent de Mars et les Femmes viennent de Vénus, mis en scène par Paul DEWANDRE ou retravaillé dans sa conférence TedX sur "le lien amoureux".

Du côté de la religion chrétienne, nous avons cité la phrase de Paul qui affirme qu'il n'y a ni homme ni femme, mais seulement des enfants de Dieu. On l'accuse souvent d'être misogyne car il a aussi écrit que les femmes devaient être voilées, obéir à leur mari, ne pas participer aux assemblées religieuses... Quelques éléments pour alimenter le débat dans un article de La Croix intitulé "Paul, l'apôtre qui estimait les femmes".

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