Atelier philo #21 : Mon corps m’appartient-il? (Lundi 15 novembre 2021)



 

    Appartenir : possession (de fait) ou propriété (de droit)

 

    Propriété vient du latin proprietas, tiré de proprius, « ce qui est propre à chacun ». Sens économique : droit fondé sur un titre légal de posséder un bien déterminé et d’en disposer comme il nous plaît. Sens philosophique : qualité partagée par tous les individus d’une espèce déterminée et par eux seuls. (Philo de A à Z)


    Mon corps : il s'agit d'un corps humain, envisagé du point de vue de chaque personne, justement indissociable de son corps propre. Voir atelier 20. http://philolamy.blogspot.com/2021/09/atelier-20-peut-on-comparer-un-corps.html



 

Mon corps m’appartient : 

j’ai tous les droits sur mon corps

 

...la tradition libérale (clairement individualiste et confusément dualiste)

 

 

 

John LOCKE, Second Traité du gouvernement (1690)


         5, 26 les fruits dont l’Indien sauvage est copossesseur doivent « être siens, c’est-à-dire faire partie de lui-même, de telle sorte qu’aucun autre n’ait plus de droits sur eux, si ces objets devaient lui être d’un usage quelconque pour l’entretien de son existence »

         5, 27 « Bien que la terre et toutes les créatures inférieures appartiennent en commun à touselles hommes, chaque homme est cependant propriétaire de sa propre personne. Aucun autre que lui-même ne possède un droit sur elle. Le travail de son corps et l’ouvrage de ses mains, pouvons-nous dire, lui appartiennent en propre. Il mêle son travail à tout ce qu’il fait sortir de l’état dans lequel la nature l’a fourni et laissé, et il y joint quelque chose qui est sien; par là il en fait sa propriété. Cette chose étant extraite par lui de l’état commun où la nature l’avait mise, son travail lui ajoute quelque chose qui exclut le droit commun des autres hommes. Car ce travail étant indiscutablement la propriété de celui qui travaille, aucun autre homme que lui ne peut posséder de droit sur ce à quoi il est joint, du moins là où ce qui est laissé en commun pour les autres est en quantité suffisante et d’aussi bonne qualité. »

 

 

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 1789, art.


    La propriété est un droit naturel et imprescriptible de l’homme, principe consacré aujourd’hui par l’article 1 du protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Philo de A à Z)

 

 

Article L 1111-4 du code de la santé publique version en vigueur depuis octobre 2020.


« Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé.

Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement. Le suivi du malade reste cependant assuré par le médecin, notamment son accompagnement palliatif.

Le médecin a l'obligation de respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité. Si, par sa volonté de refuser ou d'interrompre tout traitement, la personne met sa vie en danger, elle doit réitérer sa décision dans un délai raisonnable. Elle peut faire appel à un autre membre du corps médical. L'ensemble de la procédure est inscrite dans le dossier médical du patient. Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins palliatifs mentionnés à l'article L. 1110-10.

Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment.

            Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6, ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté.

Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, la limitation ou l'arrêt de traitement susceptible d'entraîner son décès ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale mentionnée à l'article L. 1110-5-1 et les directives anticipées ou, à défaut, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6 ou, à défaut la famille ou les proches, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d'arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical. (...)

Marcela IACUB

    Elle réclame que l'on considère la prostitution comme un métier comme un autre. Par exemple : https://www.yout-ube.com/watch?v=t7lxyGpg1pE


 


 

Puisque je suis mon corps, il n’est pas conforme à ma dignité d’utiliser mon corps comme un objet quelconque

 

Sylviane AGAZINSKI, L’homme désincarné. Du corps charnel au corps fabriqué, Gallimard, « Tracts », 2019, p. 13


         « Le logicien et philosophe Alfred N. Whitehead notait avec humour : « Personne ne dit : J’arrive ! et j’apporte mon corps avec moi. » Maurice Merleau-Ponty ajoutait : « Je n’ai pas un corps, je suis mon corps ». Dans l’ouvrage de 1970, Our Bodies, Our Selves, des féministes bostoniennes revendiquaient la liberté de leur vie sexuelle, de leur intimité, et de leur fécondité. Elle disaient, elles aussi : « Nos corps, nous-mêmes. » Cette formule a été malheureusement transposée dans un slogan ambigu : « Mon corps m’appartient. » Ce n’est pas la même chose.

         Notre corps charnel nous est propre, mais il ne nous appartient pas comme un bien, autrement dit une propriété aliénable, que l’on peut donner ou vendre, comme un vélo ou une maison. La confusion fatale entre les deux est délibérément entretenue par l’idéologie ultralibérale qui veut nous persuader que, puisque notre corps « nous appartient », nous sommes libres de l’aliéner. Admirons le paradoxe.

         Cela dit, c’est le droit qui définit les biens et pose que le corps humain n’en est pas un, et non la psychologie, ni aucune science, et encore moins l’opinion individuelle. »



ROUSSEAU impossible de se vendre, Le contrat social (1762), I, 4

 

         « Renoncer à sa liberté, c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même à ses devoirs. Il n’y a nul dédommagement possible pour qui renonce à tout. Une telle renonciation est incompatible avec la nature de l’homme, et c’est ôter toute moralité à ses actions que d’ôter toute liberté à sa volonté. Enfin, c’est une convention vaine et contradictoire de stipuler d’une part une autorité absolue et de l’autre une obéissance sans bornes. N’est-il pas clair qu’on n’est engagé à rien envers celui dont on a le droit de tout exiger, et cette seule condition, sans équivalent, sans échange n’entraîne-t-elle pas la nullité de l’acte ? Car quel droit mon esclave aurait-il contre moi, puisque tout ce qu’il a m’appartient, et que son droit étant le mien, de droit de moi contre moi-même est un mot qui n’a aucun sens ? »

 

 

KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs, 1785, Delagrave, p. 160

 

         Dans le règne des fins tout a un prix ou une dignité. Ce qui a un prix peut aussi bien être remplacé par quelque chose d’autre, à titre d’équivalent ; au contraire, ce qui est supérieur à tout prix, ce qui par suite n’admet pas d’équivalent, c’est ce qui a une dignité.

       Ce qui rapporte aux inclinations et aux besoins généraux de l’homme, cela a un prix marchand ; ce qui, même sans supposer de besoin, correspond à un certain goût, c’est-à-dire à la satisfaction que nous procure un simple jeu sans but de nos facultés mentales, cela a un prix de sentiment ; mais ce qui constitue la condition qui seule peut faire que quelque chose est une fin en soi, cela n’a pas seulement une valeur relative, c’est-à-dire un prix, mais une valeur intrinsèque, c’est-à-dire une dignité.

 

         Or la moralité est la condition qui seule peut faire qu’un être raisonnable est une fin en soi ; car il n’est possible que par elle d’être un membre législateur dans le règne des fins. La moralité, ainsi que l’humanité, en tant qu’elle est capable de moralité, c’est donc là seul ce qui a de la dignité. L’habileté et l’application dans le travail ont un prix marchand ; l’esprit, la vivacité d’imagination, l’humour ont un prix de sentiment ; par contre la fidélité à ses promesses, la bienveillance par principe (non la bienveillance d’instinct), ont une valeur intrinsèque. Ni la nature ni l’art ne contiennent rien qui puisse être mis à la place de ces qualités, si elles viennent à manquer.


« Celui qui renonce à sa liberté et l'échange pour de l'argent agit contre l'humanité. La vie elle-même ne doit être tenue en haute estime que pour autant qu'elle nous permet de vivre comme des hommes, c'est-à-dire non pas en recherchant tous les plaisirs, mais de façon à ne pas déshonorer notre humanité. Nous devons dans notre vie être dignes de notre humanité: tout ce qui nous en rend indignes nous rend incapables de tout et suspend l'homme en nous. Quiconque offre son corps à la malice d'autrui pour en retirer un profit - par exemple en se laissant rouer de coups en échange de quelques bières - renonce du même coup à sa personne, et celui qui le paie pour cela agit de façon aussi méprisable que lui. D'aucune façon ne pouvons-nous, sans sacrifier notre personne, nous abandonner à autrui pour satisfaire son inclination, quand bien même nous pourrions par là sauver de la mort nos parents et nos amis. On peut encore moins le faire pour de l'argent. Si c'est pour satisfaire ses propres inclinations qu'on agit ainsi, cela est peut-être naturel mais n'en contredit pas moins la vertu et la moralité; si c'est pour l'argent ou pour quelque autre but, on consent alors à se laisser utiliser comme une chose malgré le fait qu'on soit une personne, et on rejette ainsi la valeur de l'humanité. » Leçons d’éthique, p. 230


Réponse de Manon Garcia à Marcela Iacub à propos de la prostitution : impossible de s’assurer de mettre en place un droit du travail qui permette aux salariés d’exercer dignement cette activité : à partir de la minute 14 environ 

https://m.youtube.com/watch?v=FupkTk68_WU#menu


 

 

 

         D’où en droit français le principe de l’indisponibilité du corps : je ne peux pas vendre mes organes ni être une mère porteuse. Je ne suis donc pas propriétaire de mon corps (Philo de A à Z)


L'article 16 du code civil qui introduit le chapitre relatif au « respect du corps humain » dispose de manière générale que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie ».

S'agissant plus particulièrement du corps humain (en tant que partie physique de l'être humain), deux principes fondamentaux, qui découlent de ceux mentionnés plus haut, se dégagent à la lecture des dispositions : le corps humain est inviolable et indisponible (Code civil, art. 16-116-5).

Inviolabilité : il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain.

Indisponibilité : le corps humain et ses éléments ne peuvent faire l'objet de convention ni d'une évaluation en argent (extra-patrimonialité).


     

 

 

 

Je dois bien reconnaître néanmoins que mon corps est également l’intermédiaire incontournable de mes relations aux autres et à la nature.

 


EPICTETE, Manuel : mon corps ne dépend pas de moi!

 

 

1. Parmi les choses qui existent, les unes dépendent de nous, les autres ne dépendent pas de nous.

            Dépendent de nous : jugement de valeur, impulsion à agir, désir, aversion, en un mot, tout ce qui est notre affaire à nous. Ne dépendent pas de nous, le corps, nos possessions, les opinions que les autres ont de nous, les magistratures, en un mot, tout ce qui n’est pas notre affaire à  nous.

 

            Les choses qui dépendent de nous sont par nature libres, sans empêchement, sans entraves. Les choses qui ne dépendent pas de nous sont dans un état d’impuissance, de servitude, d’empêchement, et nous sont étrangères.

            

Souviens-toi donc que, si tu crois que les choses qui sont par nature dans un état de servitude sont libres et que les choses qui te sont étrangères sont à toi, tu te heurteras à des obstacles dans ton action, tu seras dans la tristesse et dans l’inquiétude, et tu feras des reproches aux dieux et aux hommes. Si au contraire tu penses que seul ce qui est à toi est à toi, que ce qui t’est étranger – comme c’est le cas – t’est étranger, personne ne pourra exercer une contrainte sur toi, personne ne pourra plus te forcer, tu ne feras plus de reproches à personne, tu ne feras plus une seule chose contre ta volonté, personne ne pourra te nuire, tu n’auras plus d’ennemi, car tu ne subiras plus de dommage qui pourrait te nuire.

 

Désirant donc des choses aussi élevées, souviens-toi que ce n’est pas en te contentant d’un effort modéré que tu dois chercher à les atteindre, mais qu’il y a des choses auxquelles tu dois totalement renoncer, et d’autres que tu dois remettre à plus tard pour le moment. Mais si tu veux et ces biens et en même temps magistratures et richesse, tu risques bien de ne même pas obtenir ces derniers, parce que tu désires aussi les premiers ; en tout cas il est sûr que tu n’obtiendras pas ces premiers biens, qui sont les seuls à procurer liberté et bonheur.

 

         Exerce-toi donc à ajouter d’emblée à toute représentation pénible : “ Tu n’es qu’une pure représentation et tu n’es en aucune manière ce que tu représentes. ” Ensuite examine cette représentation et éprouve-la à l’aide des règles qui sont à ta disposition, premièrement et surtout à l’aide de celle-ci : Faut-il la ranger dans les choses qui dépendent de nous ou dans les choses qui ne dépendent pas de nous ? Et si elle fait partie des choses qui ne dépendent pas de nous, que te soit présent à l’esprit que cela ne te concerne pas.

 

                                                                                                                                              

          9. La maladie est une gêne pour le corps, mais pas pour le choix de vie, à moins que le choix de vie ne le veuille lui-même. La claudication est une gêne pour la jambe, mais pas pour le choix de vie.

            Ajoute cette idée à l’occasion de chacun des accidents que surviennent : tu découvriras qu’il est une gêne pour autre chose, mais pas pour toi.

 

 

 

   Mon corps appartient au corps politique? (Foucault)


    Le don d'organes


     Aujourd’hui en France chacun est présumé donneur, c’est-à-dire que par défaut mon corps mort appartient à la collectivité nationale, pour sauver la vie de qqn d’autre, cf. le très bel article de PhiloMag sur les dons d’organe https://www.philomag.com/articles/le-voyage-des-morts, n°64, octobre 2012, par Baptiste Morizot.

 

      

    FOUCAULT, la biopolitique 


https://www.philomag.com/articles/vivons-nous-lere-de-la-biopolitique

https://www.philomag.com/articles/surveiller-et-contenir-foucault-wuhan

 


 

Emmanuel LEVINAS Ethique et infini (1982) : mon visage, ma vulnérabilité


« Je pense plutôt que l'accès au visage est d'emblée éthique. C'est lorsque vous voyez un nez, des yeux, un front, un menton, et que vous pouvez les décrire, que vous vous tournez vers autrui comme vers un objet. La meilleure manière de rencontrer autrui, c'est de ne pas même remarquer la couleur de ses yeux. Quand on observe la couleur des yeux, on n'est pas en relation sociale avec autrui. La relation avec le visage peut certes être dominée par la perception, mais ce qui est spécifiquement visage, c'est ce qui ne s'y réduit pas. Il y a d'abord la droiture même du visage, son expression droite, sans défense. La peau du visage est celle qui reste la plus nue, la plus dénuée. La plus nue, bien que d'une nudité décente. La plus dénuée aussi : il y a dans le visage une pauvreté essentielle. La preuve en est qu'on essaie de masquer cette pauvreté en se donnant des poses, une contenance. Le visage est exposé, menacé, comme nous invitant à un acte de violence. En même temps le visage est ce qui nous interdit de tuer. (...) Le visage est signification, et signification sans contexte. Je veux dire qu'autrui, dans la rectitude de son visage, n'est pas un personnage dans un contexte. D'ordinaire, on est un « personnage » : on est professeur à la Sorbonne, vice-président du conseil d'État, fils d'untel, tout ce qui est dans le passeport, la manière de se vêtir, de se présenter. Et toute signification, au sens habituel du terme, est relative à un tel contexte: le sens de quelque chose tient dans sa relation à autre chose. Ici, au contraire, le visage est sens à lui seul. Toi, c'est toi. En ce sens, on peut dire que le visage n'est pas « vu ». Il est ce qui ne peut devenir un contenu, que votre pensée embrasserait ; il est l'incontenable, il vous mène au-delà. C'est en cela que la signification du visage le fait sortir de l'être en tant que corrélatif d'un savoir. Au contraire, la vision est recherche d'une adéquation ; elle est ce qui par excellence absorbe l'être. Mais la relation au visage est d'emblée éthique. Le visage est ce qu'on ne peut tuer, ou du moins dont le sens consiste à dire : « tu ne tueras point ».


Pour compléter : 

https://www.philomag.com/dossiers/le-visage-ce-quil-revele

https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/visage-visage-14-levinas-quand-un-visage-nous-desarme

https://www.ifmparis.fr/fr/podcasts/un-choix-de-textes-litteraires-autour-du-visage

https://www.espace-ethique.org/ressources/article/emmanuel-levinas-le-visage-de-notre-action

 

 L'ambiguité du consentement dans la sexualité, un sujet étudié par Clotilde Leguil.

https://www.youtube.com/watch?v=gBvedgNsacM  (1h)

https://www.youtube.com/watch?v=IA9h5-qyqeg (30 min)

Cf.aussi l’exploration de cette question à partir des pratique SM avec Manon Garcia, dans les Chemins de la philosophie 


https://www.franceculture.fr/emissions/serie/objets-inattendus-de-la-philosophie


 

 

 

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