Le dualisme cartésien :
distinguer l’âme et le corps
Si cette distinction n’est pas absolument intuitive, elle structure malgré tout nos représentations ; elle conditionne à la fois le rapport que nous avons à notre santé, nos performances, mais aussi à la nature (végétaux et animaux)… Dans ces conditions, on nie la spécificité à la fois du vivant et du corps humain. Quelles sont les conséquences et quel est le gain de cette façon de se représenter les choses ?
DESCARTES, Discours de la méthode, 1637, IV
La conscience, première évidence
« Je pense donc je suis »
DESCARTES, Méditations métaphysiques (1641), II
Définition de la pensée
« Mais qu’est donc que je suis ? Une chose qui pense. Qu’est-ce qu’une chose qui pense ? C’est-à-dire une chose qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent. »
DESCARTES, Principes de la philosophie (1644), II, 4
La substance corporelle, ou l’étendue
« La nature de la matière, ou du corps pris en général ne consiste point en ce qu'il est une chose dure ou pesante, ou colorée, ou qui touche nos sens de quelque autre façon, mais seulement en ce qu'elle est une substance étendue en longueur, largeur et profondeur."
DESCARTES, Principes de la philosophie (1644), IV, 203
On peut expliquer toutes les activités corporelles de façon mécanique, comme toutes les autres choses naturelles ou artificielles
« Je ne reconnais aucune différence entre les machines que font les artisans et les divers corps que la nature seule compose, sinon que les effets des machines ne dépendent que de l’agencement de certains tuyaux, ou ressorts, ou autres instruments, qui, devant avoir quelque proportion avec les mains de ceux qui les font, sont toujours si grands que leurs figures et mouvements se peuvent voir, au lieu que les tuyaux ou ressorts qui causent les effets des corps naturels sont ordinairement trop petits pour être aperçus de nos sens. Et il est certain que toutes les règles des mécaniques appartiennent à la physique, en sorte que toutes les choses qui sont artificielles, sont avec cela naturelles. Car, par exemple, lorsqu’une montre marque les heures par le moyen des roues dont elle est faite, cela ne lui est pas moins naturel qu’il est à un arbre de produire des fruits. C’est pourquoi, en même façon qu’un horloger, en voyant une montre qu’il n’a point faite, peut ordinairement juger, de quelques unes de ses parties qu’il regarde, quelles sont toutes les autres qu’il ne voit pas : ainsi, en considérant les effets et les parties sensibles des corps naturels, j’ai tâché de connaître quelles doivent être celles de leurs parties qui sont insensibles »
Les corps vivants :
les organismes semblent tendre vers un but
Le corps vivant mérite sans doute une étude particulière, et la biologie ne saurait se réduire à la physique et à la chimie. Qu’est-ce qui caractérise en propre les organismes vivants, qu’ils soient animaux ou végétaux ? Parvient-on à expliquer leur fonctionnement avec des causes et sont-ils aussi prévisibles et exploitables que la matière inerte ?
KANT, Critique de la faculté de juger (1790), §65 :
L’organisme vivant possède une force formatrice qui le distingue de la machine mue par une force motrice
« Dans une montre, une partie est l’instrument des autres, mais un rouage n’est pas la cause efficiente de la production d’un autre rouage : une partie existe certes pour l’autre, mais elle n’existe pas par elle. […] Ce pourquoi […] un rouage d’une montre ne produit pas l’autre rouage, et encore moins une montre d’autres montres, de manière qu’elle utiliserait à cette fin d’autres matières (elle les organiserait) ; ce pourquoi elle ne remplace pas non plus, d’elle-même, les parties qui en ont été retirées, ni ne corrige leur absence, dans la première mise en forme de la montre, par l’intervention des autres, ni ne se répare elle-même quand elle est déréglée : toutes opérations que nous pouvons attendre au contraire de la nature organisée. Un être organisé n’est donc pas simplement une machine, étant donné que la machine a exclusivement la force motrice ; mais il possède en soi une force formatrice qu’il communique aux matières qui n’en disposent pas (il les organise) : c’est donc une force formatrice qui se propage et qui ne peut être expliquée uniquement par le pouvoir moteur (par le mécanisme). »
Approche phénoménologique :
le corps humain vécu du point de vue de la conscience
DESCARTES, Méditations métaphysiques, (1641) VI
L’union de l’âme et du corps
« Je ne suis pas seulement logé dans mon corps, ainsi qu’un pilote en son navire, mais, outre cela, je lui suis conjoint très étroitement et tellement confondu et mêlé, que je compose un seul tout avec lui »
(toute la correspondance avec la Princesse Elisabeth explore cette "union" de l'âme et du corps, inexplicable du point de vue de la raison et évidente pour le sens commun)
MERLEAU-PONTY, Le primat de la perception (1934)
Mes perceptions expriment mon rapport subjectif au monde
« Si je considère mes perceptions comme de simples sensations, elles sont privées, elles ne sont que miennes. Si je les traite comme des actes de l'intelligence, si la perception est une inspection de l'esprit et l'objet perçu une idée, alors c'est du même monde que nous nous entretenons, vous et moi, et la communication est de droit entre nous parce que le monde est passé à l'existence idéale et qu'il est le même en nous tous comme le théorème de Pythagore. Mais aucune de ces deux formules ne rend compte de notre expérience. Si nous sommes, un ami et moi, devant un paysage, et si j'essaie de montrer à mon ami quelque chose que je vois et qu'il ne voit pas encore, nous ne pouvons pas rendre compte de la situation en disant que je vois quelque chose dans mon monde à moi, et que j'essaie par messages verbaux de susciter dans le monde de mon ami une perception analogue ; il n'y a pas deux mondes numériquement distincts et une médiation du langage qui nous réunirait seule. Il y a, et je le sens bien si je m'impatiente, une sorte d'exigence que ce qui est vu par moi le soit par lui. Mais, en même temps, cette communication est demandée par la chose même que je vois, par les reflets du soleil sur elle, par sa couleur, par son évidence sensible. La chose s'impose non pas comme vraie pour toute intelligence, mais comme réelle pour tout sujet qui partage ma situation.
Je ne saurai jamais comment vous voyez le rouge et vous ne saurez jamais comment je le vois (…) . De même que mon corps, comme système de mes prises sur le monde, fonde l'unité des objets que je perçois, de même le corps d'autrui, en tant qu'il est porteur des conduites symboliques et de la conduite du vrai, s'arrache à la condition de l'un de mes phénomènes, me propose la tâche d'une communication vraie, et confère à mes objets la dimension nouvelle de l'être intersubjectif ou de l'objectivité. Tels sont, rapidement résumés, les éléments d'une description du monde perçu. »
MERLEAU-PONTY, Signes (1960)
Chaque corps est une perspective sur le monde
« Cette table que touche mon regard, personne ne la verra : il faudrait être moi. Et pourtant je sais qu'elle pèse au même moment exactement de même façon sur tout regard. Car les autres regards, je les vois, eux aussi, c'est dans le même champ où sont les choses qu'ils dessinent une conduite de la table, qu'ils lient pour une nouvelle comprésence les parties de la table l'une à l'autre. Là-bas se renouvelle ou se propage, sous couvert de celle qu'à l'instant je fais jouer, l'articulation d'un regard sur un visible. Ma vision en recouvre une autre, ou plutôt elles fonctionnent ensemble et tombent par principe sur le même Visible. Un de mes visibles se fait voyant. J'assiste à la métamorphose. Désormais il n'est plus l'une des choses, il est en circuit avec elles ou il s'interpose entre elles. Quand je le regarde, mon regard ne s'arrête plus, ne se termine plus à lui, comme il s'arrête ou se termine aux choses ; par lui, comme par un relais, il continue vers les choses — les mêmes choses que j'étais seul à voir, que je serai toujours seul à voir, mais que lui aussi, désormais, est seul à voir à sa manière. Je sais maintenant que lui aussi est seul à être soi. Tout repose sur la richesse insurpassable, sur la miraculeuse multiplication du sensible. Elle fait que les mêmes choses ont la force d'être choses pour plus d'un, et que quelques-unes parmi elles — les corps humains et animaux — n'ont pas seulement des faces cachées, que leur « autre côté » est un autre sentir compté à partir de mon sensible.»
MERLEAU-PONTY, Phénoménologie de la perception (1945)
Le monde se structure autour de mon corps propre
« Le corps propre est dans le monde comme le coeur dans l'organisme : il maintient continuellement en vie le spectacle visible, il l'anime et le nourrit intérieurement, il forme avec lui un système.
Quand je me promène dans mon appartement, les différents aspects sous lesquels il s'offre à moi, ne s'auraient m'apparaître comme les profils d'une même chose si je ne savais pas que chacun d'entre eux représente l'appartement vu d'ici ou vu de là, si je n'avais conscience de mon propre mouvement, et de mon corps comme identique à travers les phases du mouvement.
Je peux évidemment survoler en pensée l'appartement, l'imaginer ou en dessiner le plan sur le papier, mais même alors je ne saurais saisir l'unité de l'objet sans la médiation de l'expérience corporelle, car ce que j'appelle un plan n'est qu'une perspective plus ample : c'est l'appartement "vu d'en haut", et si je peux résumer en lui toutes les perspectives coutumières, c'est à condition de savoir qu'un même sujet incarné peut voir tour à tour de différentes positions. »
Et voici quelques titres cités en plus en cours de route...
Se mettre dans le corps d'une chauve-souris? Thomas Nagel, "quel effet cela fait, d’être une chauve-souris ?" https://commonweb.unifr.ch/artsdean/pub/gestens/f/as/files/4610/13599_173833.pdf (1981) (article un peu précis, mais accessible)
Des yeux... pour mieux voir? l'histoire d'un homme opéré de la cataracte à l'âge adulte, qui ne comprend pas ce nouveau sens!
Oliver Sacks, Premier regard https://www.babelio.com/livres/Sacks-Premier-regard/128246 (lecture très courte et facile)
Vinciane Desprets, Que diraient les animaux si on leur posait les bonnes questions ?
Habiter le monde en oiseau
Autobiographie d’un poulpe.
Ecouter par exemple un entretien sur France Inter https://www.youtube.com/watch?v=zQk7caaxY-M (janvier 2021)
Pour une critique du « naturalisme » ou dualisme cartésien : on peut écouter Aurélien Barrau (qui nous invite à arrêter immédiatement de détruire les autres espèces animales), ou Philippe Descola (qui met en perspective les représentations occidentales en les mettant en concurrence ou en comparaison avec l’animisme, le totémisme et l’analogisme).
Benoit a cité :
Yuval Norah Harari, Sapiens, une brève histoire de l’humanité (2015)
https://www.babelio.com/livres/Harari-Sapiens--Une-breve-histoire-de-lhumanite/766878
+ série Better than us; film Her... sur androïdes.
sur l'entraînement sportif, par exemple film The program à propos des méthodes de Lance Armstrong
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