Les ateliers philo de Clotilde #1: Et si les doutes de la philosophie pouvaient m'éclairer? (lundi 2 octobre 2017)
Si vous avez envie de commencer à lire avant de venir....
ARISTOTE
(384-322 av. J.-C.), Métaphysique : l'étonnement
"C’est,
en effet, l’étonnement qui poussa, comme aujourd’hui, les
premiers penseurs aux spéculations philosophiques.
Au
début, leur étonnement porta sur les difficultés qui se
présentaient les premières à l’esprit ; puis, s’avançant
ainsi peu à peu, ils étendirent leur exploration à des problèmes
plus importants, tels que les phénomènes de la Lune, ceux du Soleil
et des étoiles, enfin la genèse de l’Univers.
Or,
apercevoir une difficulté et s’en étonner, c’est reconnaître
sa propre ignorance […]
Ainsi
donc, si ce fut bien pour échapper à l’ignorance que les premiers
philosophes se livrèrent à la philosophie, c’est qu’évidemment
ils poursuivaient le savoir en vue de la seule connaissance et non
pour une fin utilitaire.
Et
ce qui s’est passé en réalité en fournit la preuve :
presque toutes les nécessités de la vie, et les choses qui
intéressent son bien-être et son agrément avaient reçu
satisfaction, quand on commença à rechercher une discipline de ce
genre."
PLATON,
Apologie de Socrate : la vraie sagesse. C'est
Socrate qui parle.
«
Je suis plus sage que cet homme là. Car il se peut qu’aucun de
nous ne sache rien de beau ni de bon, mais lui croit savoir quelque
chose alors qu’il ne sait rien, tandis que moi, si je ne sais pas,
je ne crois pas non plus savoir »
DESCARTES,
Regulae (1628). La vraie connaissance ne
se réduit pas à l’érudition.
«
Il faut lire les ouvrages des Anciens, parce qu’il est pour nous
d’un immense profit de pouvoir tirer parti des efforts d’un si
grand nombre de personnes : aussi bien pour connaître ce qu’on
a déjà découvert de vrai en ces temps-là, que pour être averti
des problèmes qui restent à résoudre dans toutes les disciplines.
Il est cependant fort à craindre que peut-être certains germes
d’erreurs, contractés à partir d’une lecture trop assidue de
leurs ouvrages, ne s’accrochent à nous malgré que nous en ayons,
et nonobstant toutes nos précautions. Les auteurs en effet sont
d’habitude enclins, chaque fois qu’ils en sont venus, par un acte
de foi irraisonné, à prendre parti en un sens ou en un autre sur
quelque opinion controversée, à tenter sans relâche de nous amener
du même côté par les arguments les plus subtils ;
inversement, chaque fois qu’ils sont tombés par un heureux hasard
sur quelque chose de certain et d’évident, ils ne le font jamais
paraître qu’enveloppé dans diverses tournures énigmatiques, soit
qu’ils redoutent que la simplicité de l’argument ne diminue
l’importance de leur trouvaille, soit que par malveillance ils nous
refusent la vérité toute franche.
Mais,
alors même qu’ils seraient tous francs et sans détour, qu’ils
ne nous assèneraient jamais une chose douteuse comme si elle était
vraie, et qu’ils exposeraient toutes choses avec une entière bonne
foi, nous ne saurions cependant jamais lequel il faudrait croire,
puisqu’il n’y a presque rien qui n’ait été dit par l’un et
dont le contraire n’ait été affirmé par quelque autre. Et il ne
serait d’aucun profit de compter les voix, pour suivre l’opinion
qui a le plus de répondants : car, lorsqu’il s’agit d’une
question difficile, il est plus vraisemblable qu’il s’en soit
trouvé peu, et non beaucoup, pour découvrir la vérité à son
sujet. Mais quand bien même ils seraient tous d’accord, leur
enseignement ne serait pas encore suffisant : car jamais, par
exemple, nous ne deviendrons mathématiciens, même en connaissant
par cœur toutes les démonstrations des autres, si notre esprit
n’est pas en même temps capable de résoudre n’importe quel
problème ; et nous ne deviendrons jamais philosophes, si nous
avons lu tous les raisonnements de Platon et d’Aristote, et que
nous sommes incapables de porter un jugement assuré sur les sujet
qu’on nous propose ; dan ce cas, en effet, ce ne sont point
des sciences que nous aurions apprises, semble-t-il, mais de
l’histoire. »
BACHELARD,
La formation de l’esprit scientifique (1938):
l'obstacle épistémologique
“ La
science, dans son besoin d’achèvement comme dans son principe,
s’oppose absolument à l’opinion. S’il lui arrive, sur un point
particulier, de légitimer l’opinion, c’est pour d’autres
raisons que celles qui fondent l’opinion ; de sorte que
l’opinion a, en droit, toujours tort.
L’opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances. En désignant les objets par leur utilité, elle s’interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l’opinion : il faut d’abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter. Il ne suffirait pas, par exemple, de la rectifier sur des points particuliers, en maintenant, comme une sorte de morale provisoire, une connaissance vulgaire provisoire. L’esprit scientifique nous interdit d’avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu’on en dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes. C’est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas de question, il ne peut pas y avoir de connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit. ”
L’opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances. En désignant les objets par leur utilité, elle s’interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l’opinion : il faut d’abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter. Il ne suffirait pas, par exemple, de la rectifier sur des points particuliers, en maintenant, comme une sorte de morale provisoire, une connaissance vulgaire provisoire. L’esprit scientifique nous interdit d’avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu’on en dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes. C’est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas de question, il ne peut pas y avoir de connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit. ”
ALAIN,
« le doute est le sel de l’esprit », extrait de
Libres Propos
« Le
doute est le sel de l’esprit ; sans la pointe du doute, toutes
les connaissances seront bientôt pourries. J’entends aussi bien
les connaissances les mieux fondées et les plus raisonnables. Douter
quand on s’aperçoit qu’on s’est trompé ou que l’on a été
trompé, ce n’est pas difficile ; je voudrais même dire que
cela n’avance guère ; ce doute forcé est comme une violence
qui nous est faite ; aussi c’est un doute triste ; c’est
un doute de faiblesse ; c’est un regret d’avoir cru, et une
confiance trompée. Le vrai, c’est qu’il ne faut jamais croire,
et qu’il faut examiner toujours. L’incrédulité n’a pas encore
donné sa mesure. Croire est agréable. C’est une ivresse dont il
faut se priver. Ou alors dites adieu à liberté, à justice, à
paix. Il est naturel et délicieux de croire que la République nous
donnera tous ces biens ; ou si la République ne peut, on veut
croire que Coopération, Socialisme, Communisme ou quelque autre
constitution nous permettra de nous fier au jugement d’autrui, afin
de dormir les yeux ouverts comme font les bêtes. Mais non. La
fonction de penser ne se délègue point. Dès que la tête humaine
reprend son antique mouvement de haut en bas, pour dire oui, aussitôt
les rois reviennent. »
ALAIN,
Libres
propos :
la
pensée et l'erreur
“ Quiconque
pense commence toujours par se tromper. L’esprit juste se trompe
d’abord tout autant qu’un autre ; son travail propre est de
revenir, de ne point s’obstiner, de corriger selon l’objet la
première esquisse […]. Toutes nos erreurs sont des jugements
téméraires, et toutes nos vérités, sans exception, sont des
erreurs redressées. On comprend que le liseur ne regarde pas à une
lettre, et que, par un fort préjugé, il croie toujours l’avoir
lue, même quand il n’a pas pu la lire ; et, si elle manque,
il n’a pas pu la lire. Descartes disait bien que c’est notre
amour de la vérité qui nous trompe principalement, par cette
précipitation, par cet élan, par ce mépris des détails, qui est
la grandeur même. Cette vue est elle-même généreuse ; elle
va à pardonner l’erreur ; et il est vrai qu’à considérer
les choses humainement, toute erreur est belle. Selon mon opinion un
sot n’est point tant un homme qui se trompe qu’un homme qui
répète des vérités, sans s’être trompé d’abord comme ont
fait ceux qui les ont trouvées ”.
KANT,
Qu’est-ce que les Lumières ? désirons-nous
vraiment penser librement?
"Les
lumières se définissent comme la sortie de l’homme hors de l’état
de minorité, où il se maintient par sa propre faute. La
minorité est l’incapacité de se servir de son entendement
sans être dirigé par un autre. Elle est due à notre propre
faute quand elle résulte non pas d’un manque d’entendement,
mais d’un manque de résolution et de courage pour s’en servir
sans être dirigé par un autre. Sapere aude ! Aie le
courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la
devise des lumières.
La
paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu’un si
grand nombre d’hommes, alors que la nature les a affranchis depuis
longtemps de toute direction étrangère (naturaliter maiorennes),
restent cependant volontiers, leur vie durant, mineurs ; et
qu’il soit si facile à d’autres de se poser comme leurs tuteurs.
Si j’ai un livre qui me tient lieu d’entendement, un directeur
qui me tient lieu de conscience, un médecin qui juge de mon régime
à ma place, etc., je n’ai pas besoin de me fatiguer moi-même. Je
ne suis pas obligé de penser, pourvu que je puisse payer ;
d’autres se chargeront pour moi de cette besogne fastidieuse. Que
la plupart des hommes (et parmi eux le sexe faible tout entier)
finissent par considérer le pas qui conduit à la majorité, et qui
est en soi pénible, également comme très dangereux, c’est ce à
quoi ne manquent pas de s’employer ces tuteurs qui, par bonté, ont
accepté la tâche de veiller sur eux. Après avoir rendu tout
d’abord stupide leur bétail domestique, et soigneusement pris
garde que ces créatures ne puissent oser faire le moindre pas hors
du parc où ils les ont enfermées, ils leur montrent ensuite le
danger qu’il y aurait à essayer de marcher tout seul. Or le danger
n’est sans doute pas si grand que cela, étant donné que quelques
chutes finiraient bien par leur apprendre à marcher ; mais
l’exemple d’un tel accident rend malgré tout timide et fait
généralement reculer devant toute autre tentative."
Textes de référence :
Philo classique :
PLATON,
Apologie de Socrate (je sais que je ne sais pas) : extrait
plus haut /
ARISTOTE,
Métaphysique (philosopher c’est s’étonner) : extrait
plus haut /
PLATON,
Gorgias (est-ce qu’il y a un âge pour philosopher ?)
/
BACHELARD,
La formation de l’esprit scientifique (en sciences aussi le
plus important ce sont les problèmes, sinon les réponses ne sont
que des opinions) : extrait plus haut /
DESCARTES,
Règles pour la direction de l’esprit (distinction entre la
philosophie : se poser des questions, et l’histoire de la
philosophie : connaître les réponses des grands auteurs) :
extrait plus haut /
EPICTETE,
Manuel /
Auteurs contemporains :
Pierre
HADOT Eloge de Socrate /
Pierre
HADOT Qu’est-ce que la philo antique? /
Pierre
HADOT Entretiens (distinction entre la philosophie comme
discours et connaissance, voire rhétorique sur le modèle actuel, et
la philosophie actuelle comme genre de vie) /
Alexandre
JOLLIEN /
Michel
ONFRAY Antimanuel de philosophie /
Frédéric
LENOIR, Petit traité de vie intérieure /
Pour
des ouvrages généraux, voir l'article : "les ateliers de Clotilde,
lectures générales" ici
conférences accessibles en ligne : Michel ONFRAY, François-Xavier BELLAMY… /
L'émission
Les chemins de la philosophie, tous les jours de la semaine
de10 à 11h sur France Culture.
L'émission
Matière à penser le soir sur France Culture
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