Atelier philo #19 : Comment nos paroles trahissent-elles notre inconscient? (lundi 28 juin 2021)

 





Comme initiation ou préparation, je vous propose  : 

- le biopic Freud passions secrètes (ici), qui met en scène Freud au début de sa carrière médicale et son cheminement vers la découverte de l'inconscient; les patients du film sont fictifs mais condensent ou illustrent souvent des cas rapportés par Freud dans ses ouvrages.

- ou la série d'Arte En thérapie (ici), qui s'étale sur 7 semaines de 5 consultations (dont 35 épisodes), juste après les attentats terroristes du 13 novembre 2015. On y retrouve 4 patients de Philippe (lundi : Ariane la chirurgienne amoureuse de lui, mardi : Adel le policier de la BRI ébranlé par son intervention au Bataclan, mercredi : Camille la jeune nageuse de haut niveau qui vient d'avoir un accident grave de vélo, et jeudi = un couple au bord de la séparation, Damien et Léonora) et sa propre consultation chez Esther le vendredi.


Les textes de FREUD sont assez accessibles, en particulier Cinq leçons sur la psychanalyse  (60 p. environ). On peut l'écouter sur Youtube ici

Son Introduction à la psychanalyse est très claire, mais plus longue.

Sinon, pour commencer, De l'interprétation des rêves est bien aussi; ou Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci.


Une très bonne présentation d'ensemble dans la biographie de Freud par Stefan SWEIG, Sigmund Freud, la guérison par l'esprit : il redonne à la fois le contexte historique et social et présente les grandes lignes du travail de Freud.





Pour tout ce qui concerne les enfants, Françoise DOLTO a adapté l'héritage de FREUD. On trouve beaucoup d'éléments dans son livre Tout est langage + archives radio ou télé. Un site lui est consacré http://www.dolto.fr/


Je vous ai parlé à tort de Delphine Horvilleur, rabbin mais pas psychanalyste!! (on peut l'entendre ici par exemple https://www.youtube.com/watch?v=3-a2WtZuQVo), présentation France Culture : https://www.franceculture.fr/personne-delphine-horvilleur

Clotilde Leguil, enseignante de philosophie et psychanalyste proposent souvent des analyses éclairantes et accessibles. Présentation France Culture : ici


Parmi les chercheurs actuels, Christophe DEJOURS, psychiatre et psychanalyste analyse depuis plusieurs année la souffrance au travail, en mobilisant des concepts psychanalytiques.









Voici quelques extraits célèbres de FREUD (1856-1939) : 



 

 

Les trois humiliations de l’humanité.

 

“ Dans le cours des siècles, la science a infligé à l’égoïsme naïf de l’humanité deux graves démentis

[Premier démenti, passé : la révolution copernicienne, astrologie : l’héliocentrisme] La première fois, ce fut lorsqu’elle a montré que la terre, loin d’être le centre de l’univers, ne forme qu’une parcelle insignifiante du système cosmique dont nous pouvons à peine nous représenter la grandeur. Cette première démonstration se rattache pour nous au nom de Copernic, bien que la science alexandrine ait déjà annoncé quelque chose de semblable. 

[Deuxième démenti, passé : la théorie de l’évolution des espèces, biologie] Le second démenti fut infligé à l’humanité par la recherche biologiquelorsqu’elle a réduit à rien les prétentions de l’homme à une place privilégiée dans l’ordre de la création, en établissant sa descendance du règne animal et en montrant l’indestructibilité de sa nature animale. Cette dernière révolution s’est accomplie de nos jours, à la suite des travaux de Ch. Darwin, de Wallace et de leurs prédécesseurs, travaux qui ont provoqué la résistance la plus acharnée des contemporains. 

[Troisième démenti, présent et futur : Freud, la psychanalyse] Un troisième démenti sera infligé à la mégalomanie humaine par la recherche psychologique de nos jours qui se propose de montrer au moi qu’il n’est pas maître dans sa propre maison, qu’il en est réduit à se contenter de renseignements rares et fragmentaires sur ce qui se passe, en dehors de sa conscience, dans sa vie psychique. Les psychanalystes ne sont ni les premiers ni les seuls qui aient lancé cet appel à la modestie et au recueillementmais c’est à eux que semble échoir la mission d’étendre cette manière de voir avec le plus d’ardeur et de produire à son appui des matériaux empruntés à l’expérience et accessibles à tous. D’où la levée générale de boucliers contre notre science, l’oubli de toutes les règles de politesse académique, le déchaînement d’une opposition qui secoue toutes les entraves d’une logique impartiale. ”

FREUD, Introduction à la psychanalyse (1916)

 

 

 

 

L’hypothèse de l’inconscient est nécessaire et légitime

 

            «[Intro] On nous conteste de tous côtés le droit d’admettre un inconscient psychique* et de travailler scientifiquement avec cette hypothèse. Nous pouvons répondre à cela que l’hypothèse de l’inconscient est nécessaire et légitime, et que nous possédons de multiples preuves de l’existence de l’inconscient

[L’hyp de l’incs est nécessaire pour expliquer rationnellement les phénomènes psychiques] Elle est nécessaireparce que les données de la conscience sont extrêmement lacunaires ; aussi bien chez l’homme sain que chez le malade, il se produit fréquemment des actes psychiques qui, pour être expliqués, supposent d’autres actes qui, eux, ne bénéficient pas du témoignage de la conscience. Ces actes ne sont pas seulement les actes manqués* et les rêves, chez l’homme sain, et tout ce qu’on appelle symptômes psychiques et phénomènes compulsionnels chez le malade ; notre expérience quotidienne la plus personnelle nous met en présence d’idées qui nous viennent sans que nous en connaissions l’origine, et de résultats de pensée dont l’élaboration nous est cachée.

[L’hyp de l’incs est légitime car elle permet de donner du sens] Tous ces actes conscients demeurent incohérents et incompréhensibles si nous nous obstinons à prétendre qu’il faut bien percevoir par la conscience tout ce qui se passe en nous en fait d’actes psychiques ; mais ils s’ordonnent dans un ensemble dont on peut montrer la cohérence si nous interpolons les actes inconscients inférés. Or nous trouvons dans ce gain de sens et de cohérence une raison, pleinement justifiée, d’aller au-delà de l’expérience immédiate.

[L’hyp de l’incs repose s/ des preuves] Et s’il s’avère de plus de que nous pouvons fonder sur l’hypothèse de l’inconscient une pratique couronnée de succès par laquelle nous influençons, conformément à un but donné, le cours des processus conscients, nous aurons acquis, avec ce succès, une preuve incontestable de l’existence de ce dont nous avons fait l’hypothèse. L’on doit donc se ranger à l’avis que ce n’est qu’au prix d’une prétention intenable que l’on peut exiger que tout ce qui se produit dans le domaine psychique doive aussi être connu de la conscience.

On peut aller plus loin et avancerpour étayer la thèse d’un état psychique inconscient, que la conscience ne comporte à chaque moment qu’un contenu minime, si bien que, mis à part celui-ci, la plus grande partie de ce que nous nommons connaissance consciente se trouve nécessairement pendant de longues périodes, en état de latence, et donc en état d’inconscience psychique. »

FREUD, « L’inconscient », in Métapsychologie. 1915

 

 

Le moi n’est pas maître dans sa propre maison / L’inconscient ne me dégage d’aucune responsabilité

 

            « “ Dans certaines maladies […] [le] moi se sent mal à l’aise, il touche aux limites de sa puissance en sa propre maison, l’âme. Des pensées surgissent subitement dont on ne sait d’où elles viennent ; on n’est pas non plus capable de les chasser. Ces hôtes étrangers semblent même être plus forts que ceux qui sont soumis au moi ; ils résistent à toutes les forces de la volonté qui ont déjà fait leurs preuves, restent insensibles à une réfutation logique, ils ne sont pas touchés par l’affirmation contraire de la réalité. […]

Il est vrai que la psychiatrie* (…) conteste que des esprits malins étrangers aient pénétré dans la vie psychique ; mais par ailleurs, elle se contente de hausser les épaules en disant : dégénérescence, disposition héréditaire, infériorité constitutionnelle ! 

La psychanalyse*, elle, entreprend d’élucider ces cas de maladies étranges, elle se lance dans des investigations minutieuses et de longue haleine, élabore des concepts auxiliaires et des constructions scientifiques, et elle peut finalement dire au moi : 

« Rien d’étranger n’est entré en toi ; c’est une partie de ta propre vie psychique qui s’est dérobée à ta connaissance et à la domination de ta volonté. C’est pourquoi d’ailleurs tu es si faible pour te défendre : tu combats avec une partie de tes forces contre l’autre partie ; tu ne peux pas mobiliser toutes tes forces comme contre un ennemi extérieur. Et ce n’est même pas la part la plus mauvaise ou la plus insignifiante de tes forces psychiques qui s’est ainsi opposée à toi et est devenue indépendante de toi. La responsabilité, je dois le dire t’en incombe entièrement. 

Tu as surestimé tes forces quand tu as cru que tu pouvais faire de tes pulsions sexuelles ce que tu voulais, et que tu n’avais pas besoin de faire le moindre cas de leurs intentions. Alors, elles se sont révoltées, et ont suivi leurs propres voies obscures pour échapper à la répression, elles se sont fait droit d’une manière qui ne peut plus te convenir (…) 

Accepte donc sur ce point de te laisser instruire ! Le psychique* en toi ne coïncide pas avec ce dont tu es conscient* ; ce sont deux choses différentes, que quelque chose se passe dans ton âme et que tu en sois par ailleurs informé. 

Je veux bien céder qu’à l’ordinaire, le service de renseignements qui dessert ta conscience suffit à tes besoins. Tu peux te bercer de l’illusion que tu apprends tout ce qui revêt une certaine importance. Mais dans bien des cas, par exemple dans celui d’un conflit pulsionnel de ce genre, il est en panne, et alors ta volonté ne va pas plus loin que ton savoir.

Mais dans tous les cas, ces renseignements de ta conscience sont incomplets et souvent peu sûrs ; par ailleurs, il arrive assez souvent que tu ne sois informé des événements que quand ils se sont déjà accomplis et que tu ne peux plus rien y changer. Qui saurait évaluer, même si tu n'es pas malade, tout ce qui s’agite dans ton âme et dont tu n’apprends rien, ou dont tu es mal informé ? Tu te comportes comme un souverain absolu, qui se contente des renseignements que lui apportent les hauts fonctionnaires de sa cour et qui ne descend pas dans la rue pour écouter la voix du peuple

Entre en toi-même, en tes profondeurs et apprends d’abord à te connaître, alors tu comprendras pourquoi tu dois devenir malade, et tu éviteras peut-être de le devenir. ”

Freud, « Une difficulté de la psychanalyse »  (1917), in L’inquiétante étrangeté et autres essais

 

 


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