PhiloMuse - I - les artistes aussi fascinés par la technologie? (mardi 12 novembre 2019)







Présentation de la veillée 


Nous nous demandons si les artistes échappent à la fascination actuelle pour la technologie, pour les outils numériques, qui nous promettent plus de liberté et de pouvoir, mais seraient bien aussi capables de nous paralyser et de tuer notre créativité.





Le document image et son


Koyaanisqatsi : film documentaire expérimental réalisé par Godfrey REGGIO, avec une bande originale composée par Philip GLASS. Sans paroles, l'accumulation d'images en musique nous laisse voir, entendre et juger la réalité du rythme que la technologie a introduit dans nos vies. Vous trouverez la bande annonce ici et l'extrait choisi par Rémi ici à partir de 3'15 ou ici.




Quelques extraits de textes philosophiques 




SARTRE
la fabrication d’un objet technique : le coupe-papier
L'existentialisme est un humanisme (1945)

“ Lorsqu’on considère un objet fabriqué, comme par exemple un coupe-papier, cet objet a été fabriqué par un artisan qui s’est inspiré d’un concept ; il s’est référé au concept de coupe-papier, et également à une technique de production préalable, qui fait partie du concept, et qui est au fond une recette. Ainsi le coupe-papier est à la fois un objet qui se produit d’une certaine manière et qui, d’autre part, a une utilité définie, et on ne peut pas supposer un homme qui produirait un coupe-papier sans savoir à quoi l’objet va servir. Nous dirons donc que, pour le coupe-papier, l’essence – c’est-à-dire l’ensemble des recettes et des qualités qui permettent de le produire et de le définir – précède l’existence ; et ainsi la présence, en face de moi, de tel coupe-papier ou de tel livre est déterminée. Nous avons donc là une vision technique du monde, dans laquelle on peut dire que la production précède l’existence. »



MARX
L’aliénation : l’ouvrier ne travaille que pour survivre, sa vie commence quand son travail finit
Travail salarié et capital (1849). Trad. M. Rubel et L. Evrard. Coll « pléiade », Gallimard, 1965, p. 204-205

« Le travail est donc une marchandise que son possesseur, le salarié, vend au capital. Pourquoi le vend-il ? Pour vivre.
Mais le travail est aussi l’activité vitale propre au travailleur, l’expression personnelle de sa vie. Et cette activité vitale, il la vend à un tiers pour s’assurer les moyens nécessaires à son existence. Si bien que son activité vitale n’est rien sinon l’unique moyen de subsistance. Il travaille pour vivre. Il ne compte point le travail en tant que tel comme faisant partie de sa vie : c’est bien plutôt le sacrifice de cette vie. C’est une marchandise qu’il adjuge à un tiers. C’est pourquoi le produit de son activité n’est pas le but de son activité. Ce qu’il produit pour lui-même, ce n’est pas la soie qu’il tisse, l’or qu’il extrait de la mine, le palais qu’il élève. Ce qu’il produit pour lui-même, c’est le salaire ; et la soie, l’or, le palais se réduisent pour lui à une certaine quantité de subsistance, tels qu’une veste en coton, de la menue monnaie et le sous-sol où il habite. Voilà un ouvrier qui, tout au long de ses douze heures, tisse, file, perce, tourne, bâtit, creuse, casse ou charrie des pierres. Ces douze heures de tissage, de filage, de perçage, de travail au tour ou à la pelle ou au marteau à tailler la pierre, l’ouvrier les considère-t-il comme l’expression de son existence, y voit-il l’essentiel de sa vie ? Non, bien au contraire. La vie commence pour lui quand cette activité prend fin, à table, au bistrot, au lit.



MARX
L’aliénation
Manuscrit de 1844, Editions sociales, 1972, p. 57

"Nous partons d'un fait économique actuel
L’ouvrier devient d’autant plus pauvre qu’il produit plus de richesse, que sa production croit en puissance et en volume. L’ouvrier devient une marchandise au prix d’autant plus bas qu’il produit plus de marchandises. La dépréciation du monde des hommes va de pair avec la mise en valeur du monde des choses. Le travail ne produit pas seulement des marchandises : il se produit lui-même et produit l’ouvrier en tant que marchandise, et cela dans la mesure où il produit des marchandises en général.
Ce fait n’exprime rien d’autre que ceci : l’objet du travail produit, son produit, se dresse devant lui comme un être étranger, comme une puissance indépendante du producteur. Le produit du travail est le travail qui s’est fixé, concrétisé dans un objet, il est l’objectivation du travail. Au stade de l’économie, cette actualisation du travail apparaît comme la perte pour l'ouvrier de sa réalité, l'objectivation comme la perte de l’objet ou l’asservissement de celui-ci, l’appropriation comme aliénation, comme dessaisissement.
Toutes ces conséquences se trouvent dans cette détermination : l'ouvrier est à l'égard du produit de son travail dans le même rapport qu'à l'égard d'un objet étranger. Car ceci est évident par hypothèse : plus l'ouvrier s'extériorise dans son travail, plus le monde étranger, objectif, qu'il crée en face de lui, devient puissant, plus il s'appauvrit lui-même et plus son monde intérieur devient pauvre, moins il le possède en propre. Il en va de même dans la religion. Plus l'homme met de choses en Dieu, moins il en garde en lui-même. L'ouvrier met sa vie dans l'objet. Mais alors, celle-ci ne lui appartient plus, elle appartient à l'objet. Donc plus cette activité est grande, plus l'ouvrier est sans objet. Il n'est pas ce qu'est le produit de son travail.  Donc plus ce produit est grand, moins il est lui-même. L’aliénation de l’ouvrier dans son produit signifie non seulement que son travail devient un objet, une réalité extérieure, mais que son travail existe en dehors de lui, indépendamment de lui, étranger à lui, et devient une puissance autonome face à lui, que la vie qu’il a prêtée à l’objet s’oppose à lui, hostile et étrangère. »


=> ce texte développe, de façon plus précise, la même idée que le précédent : en travaillant, en vendant sa force de travail (puisqu’il n’est pas propriétaire des moyens de productions), l’ouvrier devient lui-même une marchandise..

Je vous conseille vivement d'aller voir les textes de Simone Weil, tellement beaux que j'ai du mal à les découper pour en mettre des extraits, en livre ou en document à télécharger sur le site de l'UQAC.


Henri BERGSON
les machines et leur puissance démesurée
Les deux sources de la morale et de la religion (1932), dernier chapitre.

“ Si nos organes sont des instrument naturels, nos instruments sont par là même des organes artificiels. L'outil de l'ouvrier continue son bras ; l'outillage de l'humanité est donc un prolongement de son corps. La nature, en nous dotant d’une intelligence essentiellement fabricatrice, avait ainsi préparé pour nous un certain agrandissement. Mais des machines qui marchent au pétrole, au charbon, (...) sont venues donner à notre organisme une extension si vaste et une puissance si formidable, si disproportionnée à sa dimension et à sa force, que sûrement il n'en avait rien été prévu dans le plan de structure de notre espèce : ce fut une chance unique, la plus grande réussite matérielle de l'homme sur la planète. 

Or, dans ce corps démesurément grossi, l'âme reste ce qu'elle était, trop petite maintenant pour le remplir, trop faible pour le diriger. D'où le vide entre lui et elle. D'où les redoutables problèmes sociaux, politiques, internationaux, qui sont autant de définitions de ce vide et qui, pour le combler, provoquent aujourd'hui tant d'efforts désordonnés et inefficaces : il y faudrait de nouvelles réserves d'énergie potentielle, cette fois morale. (…) Ce corps agrandi attend un supplément d’âme. ”






Les ouvrages et documentaires liés à la veillée



Guy DEBORD, La société du spectacle, Editions Champ Libre, 1967.
Le livre est disponible à la Médiathèque de Bourges, et en format PDF ici
Pour accompagner la lecture, plusieurs émissions sur France Culture
  • Une série d’émissions des Chemins de la philosophie « Guy Debord » (chaque émission 50 minutes) : présentation du livre par Gérard Berréby et Adèle Van Reeth, le 13 avril 2017 ici: ; l’art de déplaire : ici ; présentation de la philosophie situationniste : ici. 
  • L’homme et son oeuvre dans « Une vie une oeuvre » en novembre 2017 :  ici 
Une bonne synthèse à lire en ligne pour baliser la lecture du livre: ici 

Il me semble que la compréhension de DEBORD requiert des bases marxistes (ce qu’il appelle « spectacle » ressemble à ce que Marx désigne par « idéologie »).
Pour plonger dans la pensée de Karl MARX, le plus facile d’accès est Le manifeste du parti Communiste, écrit avec ENGELS; pour les plus motivés, le Capital reste l’oeuvre majeure du philosophe et économiste (un véritable pavé).
Facile d’accès, une série d’émissions sur Arte, « Travail, Salaire, Profit » :  ici . Gérard MORDILLAT et Bertrand ROTHE interrogent des chercheurs de plusieurs disciplines (économie, droit, sociologie…) et de plusieurs pays. Les principes de la pensée marxistes sont présentés et discutés. A voir en ligne jusqu’au 13/12/19 puis en VOD ou DVD.
Pour ceux qui sont motivés, présentation de l’analyse et de la critique du capitalisme (échanges, travail), dans deux conférences niveau classe prépa par Philippe TOUCHET (chacun une heure environ) : ici
Il y a également un bon article de Paul RICOEUR sur l’opposition entre idéologie et utopie : « L’idéologie et l’utopie, deux expressions de l’imaginaire social », publié dans la revue Autres Temps en 1984 (n°2), réédité dans le recueil Du texte à l’action édité en 1986, puis étendu en cours sur une année, publié sous le titre L’idéologie et l’utopie en 1997. Accessible en ligne ici.  

Des enquêtes qui analysent le travail à travers les grilles marxistes : La mise à mort du travail, de Jean-Robert VIALLET (2009) (en DVD et sur youtube : I : la destruction,  ici; II : l’aliénation, ici ; III : la dépossession, ici ). Chaque enquête dure un peu plus d'une heure.
On trouve de très belles lettres de Simone WEIL, qui a souhaité expérimenter  elle-même les conditions de vie et de travail des ouvrier en s’engageant dans les usines Renault : Lettres à Albertine Thévenon ainsi qu'un texte qui parle de son Expérience de la vie d'usine (disponibles dans le volume La condition ouvrière, qu’on peut télécharger sur le site de l’Uqac, ici )

Jean-Claude MICHEA revendique son appartenance au socialisme des origines et sa filiation avec la pensée de DEBORD. Pour comprendre le texte, il faut bien identifier la définition qu’il donne du spectacle, presque synonyme d’idéologie.
Série d’interviews dans l’émission de France Culture, « A voix nue » en janvier 2019 (chaque émission 30 minutes) : ici


Jean-Claude PINSON : le kitsch
Extrait sur youtube : ici ; présentation sur le site du Roseau Pensant : ici . Il en fait le mauvais goût caractérisant la culture de masse.



Frédéric TADDEI invite dans son émission « Interdit d’interdire » Gaspard KOENIG et Eric SADIN autour de la question : « Faut-il avoir peur de l’intelligence artificielle? » (environ 1h), sur RT France ici 


Très bonne série d’émissions sur Arte sur les mécanismes utilisés sur Twitter, Facebook etc. qui nous rendent dépendants : « Dopamine » (7-8 min par épisode) :  ici



Quelques exemples :
Exemple d'opéra sur écran géant et tablettes à Rennes et Nantes : ici.
Yumi chef d'orchestre ici.



Commentaires